Un moment de grâce

À Tourcoing, l’antenne nordiste de l’Institut du Monde Arabe raconte une formidable aventure moderne: celle du Groupe de Casablanca.

C’est une petite exposition, cinq salles tout au plus, dont le propos pourrait être négligé en raison de son caractère pointu. Ce serait une erreur car en retraçant le cheminement esthétique du Groupe de Casablanca dans les années 60-70, l’IMA-Tourcoing déroule un récit dont l’enjeu est on ne peut plus actuel, à l’heure où l’Occident a compris que c’en était bien fini de se mirer le nombril. Comment la périphérie s’invente-t-elle centre? Réponse: à la force des poignets. En ce sens, le périple initié par Farid Belkahia (1934-2014), Mohamed Melehi (1936) et Mohamed Chabâa (1935-2013) est exemplaire. Partis se former dans les grandes capitales, ces artistes vont être en contact avec l’effervescence artistique de l’après-guerre. Ils voient Klee, ils voient Kandinsky mais également des contemporains plus immédiats, qu’il s’agisse d’Alberto Burri, de Franz Kline ou de Lucio Fontana. De retour au pays, le décalage est grand dans la mesure où c’est une tristement académique et orientalisante peinture de chevalet, directement héritée de la colonisation, qui pendouille aux cimaises. Le trio se pose alors la question de Restany: comment être marocain et moderne à la fois? La bonne nouvelle, c’est qu’il va y répondre en résistant à la tentation d’écrire la modernité sur une page blanche ou de recopier les avant-gardes occidentales. Loin de la table rase et du papier carbone, les initiateurs de cette révolution vont interroger la tradition pour trouver des solutions formelles inédites. C’est la production artisanale marocaine, travaillée par l’abstraction et le motif, qui va nourrir le lexique plastique du Groupe de Casablanca. Difficile de rêver d’un trait d’union plus parfait entre le passé et le présent.

Pour Françoise Cohen, directrice de l’IMA-Tourcoing, l’exposition revient sur une période inouïe de l’Histoire artistique marocaine, qu’elle n’hésite pas à comparer à la Florence des Médicis.  » Tout à coup dans une ville ou un pays, il y a un moment parfait, un accord entre les artistes et la société qui les porte« , explique celle qui est également commissaire de l’événement. Devant les oeuvres, on ne peut qu’approuver ce constat. Qu’il s’agisse des motifs vibrants, comme parcourus d’une onde, de Melehi ( Composition, 1976, un découpage cellulosique sur panneau) ou d’un agencement stupéfiant de radicalité ( Houssibe, une toile de 1967, inspirée par la calligraphie, préfigurant l’art numérique, voir ci-dessus) signé Houssein Miloudi (1945), l’oeil vibre au diapason d’une recherche picturale libérée. Mis en regard de nombreux objets vernaculaires prêtés notamment par le musée du quai Branly, les oeuvres de l’École de Casablanca méritent amplement l’étiquette de « laboratoire du renouveau » qu’on lui a accolée. Plus surprenant encore sont les différentes expérimentations menées sur le corps féminin et l’acte sexuel. Hommage à Courbet, stylisation des parties intimes et invention d’une géométrie charnelle… On ne s’attend pas à une telle célébration de l’intime. Tout cela confirme que l’on n’a pas fini d’entendre parler de ce mouvement initiateur d’une salutaire modernité marocaine dont les protagonistes sont désormais prisés des collections les plus prestigieuses (entre autres la Barjeel Art Foundation). Autre consécration révélatrice d’une cote qui explose: la très attendue exposition monographique que le Centre Pompidou dédiera à Farid Belkahia à la fin de l’année.

Maroc, une identité moderne

IMA-Tourcoing, 9 rue Gabriel Péri, à Tourcoing. Jusqu’au 14/06.

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www.ima-tourcoing.fr

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