L’ÉCRIVAIN AMÉRICAIN ET LAURÉAT DU PULITZER MICHAEL CUNNINGHAM PUBLIE SON 5E ROMAN, CRÉPUSCULE. UNE CHRONIQUE DOUCE-AMÈRE SUR LE DÉSIR, LE COUPLE, L’ART ET LA MORT. IL NOUS A ACCUEILLI CHEZ LUI… EN PLEIN BRUXELLES OÙ IL S’EST ENFERMÉ PENDANT UN MOIS POUR ÉCRIRE.

Héritier de Virginia Woolf dont il s’est d’ailleurs inspiré pour ensemencer le terreau littéraire du livre qui lui a valu le Pulitzer et une renommée mondiale, Les Heures, Michael Cunningham vient de passer un mois dans la capitale à l’invitation de Passa Porta.

Une occasion unique de rencontrer un écrivain new-yorkais jusqu’au bout du stylo alors que sort son nouveau livre, Crépuscule ( lire la critique page 39), l’histoire d’un marchand d’art bien sous tous rapports pris dans le tourbillon d’une remise en question d’autant plus brutale qu’elle est vouée à l’échec. Des pages brûlantes sur le couple, la mort, la famille, la liberté, l’homosexualité et le désir qui remuent et font vaciller les certitudes auxquelles sont arrimées les cordes de l’identité.

Pour l’heure, c’est en tenue décontractée, toutes bagues dehors, qu’il nous reçoit dans un appartement à la déco raffinée, option minimaliste, en plein c£ur du quartier Dansaert. La résidence touche à sa fin. Et si le quinquagénaire poivre et sel à la voix profonde comme un tonneau de whisky est satisfait du chemin parcouru – » J’ai écrit plus ou moins un tiers de mon prochain bouquin« -, il n’est pas mécontent de retrouver bientôt l’effervescence de cette ville aimant:  » Mes amis me manquent mais aussi New York. Je n’imaginais pas à quel point je suis attaché à cet endroit. »C’est pour échapper aux nombreuses tentations qui le détournent du droit chemin de l’autodiscipline qu’il a accepté cet exil en territoire inconnu. Au menu: un long marathon d’écriture, entrecoupé seulement de balades dans les environs immédiats. L’écriture est un sacerdoce.  » Un mois de ce régime c’est bien, plus je deviendrais fou« , lâche-t-il dans un rire sonore qu’on verrait plutôt jaillir de la bouche d’un Hemingway.

La Grosse Pomme est sa compagne et sa muse. On la retrouve quasiment dans toutes ses aventures romanesques. En particulier dans Le livre des jours, peinture en 3 couches -passé, présent et futur- de Manhattan. Avec son décor de galeries branchées, sa frénésie, ses soirées mondaines, ses collectionneurs excentriques, ses beaux quartiers, sa vista, Crépuscule ne pouvait que se déployer dans cet espace à haute densité.  » Si New York est si présente dans mes écrits c’est parce qu’elle l’est aussi dans ma vie. J’habiterais à Paris, Bruxelles ou Istanbul, j’en connaîtrais les moindres recoins et j’en tapisserais mes histoires. Un écrivain est un témoin. Il tente d’enregistrer le pouls d’un lieu et d’une époque. Si vous voulez savoir comment on vivait en Russie au XIXe, vous pouvez dévorer des livres d’Histoire mais vous devrez aussi vous plonger dans Tolstoï, Dostoïevski ou Tchekhov. Parce que ce sont eux qui décrivent le mieux la vie des gens ordinaires. »

Art sous influence

Comme à chaque fois, Cunningham a trempé sa plume dans l’encre de ses obsessions. Lui qui s’est rêvé peintre dans sa jeunesse met ici en scène le monde de l’art et ses faux-semblants.  » J’ai des amis dans ce milieu et je suis fasciné par sa mutation au cours des 30 dernières années, transformant une occupation avant tout esthétique en business international. » Pour le meilleur et pour le pire, constate-t-il amer.  » Un écrivain qui ne vend pas des tonnes de livres peut s’en sortir. Mais un peintre qui veut vivre de sa passion doit figurer dans les 600 artistes les plus cotés. Mon personnage est déboussolé par ces changements, il se rend compte que de jeunes artistes produisent des £uvres, parfois inconsciemment, qui correspondent aux goûts des collectionneurs. Le consumérisme a parasité la création. »

Son roman baigne dans un spleen magnifique qui colle à la peau et à l’âme. Impossible de ne pas penser aux effets secondaires du 11 septembre.  » Même si je ne parle pas directement de ces événements, ils sont là en filigrane. Les attentats nous ont fait prendre conscience de notre vulnérabilité. Un sentiment que nous avons intériorisé et que nous autres écrivains new-yorkais distillons sans le vouloir dans nos livres.  »

Pour autant, Michael Cunningham ne se laisse pas ronger par la bile. Même s’il vénère les grandes figures de la littérature, il vit dans le présent. Et en croque chaque fruit, des nouvelles technologies dont il dit se dit accro aux séries télés, dont le découpage et l’envergure lui rappellent le roman. Il vient d’ailleurs de terminer le scénario d’un pilote pour HBO.  » On nous chante que c’était mieux avant depuis au moins 200 ans, embraie cet optimiste de nature. A croire que chaque génération prend un malin plaisir à se déclarer en déclin. » Lui ne mange pas de ce pain rassis-là, précisant qu’il n’est pas stupide pour autant.  » Si je pense que le monde est dangereux? Oui. Si je crois que nous bousillons notre environnement? Oui. Mais est-ce que j’ai l’impression que la culture mondiale n’a plus rien à dire et ne produit plus rien de bon? Pas nécessairement.  »

Avant de rejoindre l’écran du portable qui scintille sur un petit bureau spartiate, il lance une dernière bouée à la mer. En direction d’Obama et de la jeunesse. Ce qui n’est pas vraiment étonnant pour un artiste qui n’a jamais caché son engagement à gauche et jubile en voyant des gamins descendre dans la rue et prendre d’assaut les marches de Wall Street.  » Je suis trop vieux pour dormir dehors mais je suis allé leur parler et leur témoigner mon soutien. » Contrairement aux déçus, il reste fidèle à Obama,  » le premier président intelligent et moral depuis bien longtemps« , qui a certes commis des erreurs durant son premier mandat, mais qui  » n’a pas eu assez de 4 ans pour réparer le chaos laissé par le clan Bush« . Sa langue est aussi venimeuse que sa prose. Les lettres américaines sont entre de bonnes mains… l

ENTRETIEN ET PHOTO LAURENT RAPHAËL

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