Quand on parle culture à la télé, la situation est à peine plus réjouissante de l’autre côté de la frontière. Il y a bien Tracks sur Arte pour secouer le cocotier et bousculer les habitudes ronronnantes. Ou La Grande Librairie sur France 5 pour accueillir un James Ellroy et s’en aller rencontrer chez lui Philip Roth. Le paysage audiovisuel français n’en est pas moins tristoune et bien frileux quand il s’agit de parler de musique ou de cinéma.

L’écrivain, chercheur et journaliste français Frédéric Martel, auteur entre autres de Mainstream, Enquête sur la guerre globale de la culture et des médias, écarte le problème d’un revers de bras. « Je connais mal le milieu belge. Mais la relation conflictuelle entre la télé et la culture est une fausse question systématiquement remise sur le tapis. Tous les candidats à la présidence de France Télévisions placent la culture au coeur de leur projet. Elle est d’ailleurs souvent liée aux désignations. Mais ensuite pratiquement rien n’est mis en oeuvre. Pour Arte, financée par l’Etat franco-allemand, les chiffres ne sont pas déterminants. Mais, ce qu’on demande aujourd’hui à France 2, c’est d’abord de faire de l’audience. Quand les coûts sont aussi importants, quand le modèle économique repose sur la publicité, elle est indispensable. Et elle est clairement incompatible avec la culture. »

A fortiori si on parle opéra, musique classique, théâtre, littérature… Pour Martel, il y a avant tout un problème de hiérarchie. Une hiérarchie culturelle figée où un petit nombre de journalistes (ou critiques appelez-les comme vous voulez) refusent la culture entertainment et imposent des goûts très particuliers ne correspondant pas aux attentes ni aux centres d’intérêt des téléspectateurs. « La culture, ce n’est pas nécessairement ce que veut une certaine élite parisienne qui la défend en même temps qu’un statut social. C’est aussi le manga, les jeux video, les blockbusters… L’inventivité et la créativité dans le gaming sont incroyables par exemple mais on peine à le reconnaître. Comme on semble ne pas comprendre que certains peuvent lire Montaigne l’après-midi et se taper un bon film hollywoodien le soir. Il y a des formats à inventer. Des formats qui parlent à de plus larges publics tout en étant de qualité. »

Martel ne se leurre pas non plus. « En France, nous n’avons presque rien. L’émission musicale la plus populaire à l’heure qu’il est, c’est Patrick Sébastien. Mais il reste des programmes relativement intéressants qui mélangent le mainstream à quelque chose de différent: Ruquier, Ce Soir (ou jamais!) aussi dans le genre late-night show, ou Le Grand Journal qui, si ses années de gloire sont derrière lui, touche à la fois au massivement populaire et à l’indé. Les animateurs grand public ont un rôle important à jouer. Aux Etats-Unis, Oprah Winfrey a conquis de très vastes audiences en proposant parmi d’autres choses une culture de qualité… »

Selon Martel, la critique élitiste à papa est morte… Le téléspectateur cherche des guides, des recommandations. « La question n’est plus où regarder un Rossellini aujourd’hui. C’est qui va m’amener à le découvrir. M’accompagner. Eventuellement m’aider à décoder. Et je suis optimiste. Je crois en la technologie qui bouscule les élites top-down. La Social TV va dans ce sens. Elle qui recommande des contenus en temps réel sur base d’études de comportements de masse, de personnalisation sur mesure, de recommandation des pairs. A terme, ce n’est plus l’usager qui regarde la télé, c’est la TV qui se met à le regarder. » La révolution est en marche.

J.B.

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