TRUE DETECTIVE, LA SÉRIE DE NIC PIZZOLATTO ET CARY FUKUNAGA, A RÉUSSI LA GAGEURE DE RENOUVELER UN GENRE. UN CLASSIQUE INSTANTANÉ QUI OUVRE DE BIEN INTÉRESSANTES PERSPECTIVES.

Et maintenant, on fait quoi? Le 9 mars dernier, la première saison de True Detective s’achevait sur cette question. On digère encore. Grosse claque dans la figure. Dans la nôtre et dans l’univers des séries: les bonnes productions ont beau s’enchaîner année après année, l’âge d’or de la fiction télé, du moins dans sa dimension créative et novatrice, semblait fixé aux coutures de la décennie précédente. Malgré Game of Thrones. Malgré House of Cards. Malgré Boardwalk Empire. Malgré les Scandinaves et toutes ces productions post-2010 aux immenses qualités, mais dont on peine à se dire qu’elles ont renouvelé un genre. True Detective semble engager quelque chose de neuf, malaxant les codes de la série, de la mini-série et du cinéma pour accoucher d’un monstre addictif qu’on n’avait encore jamais rencontré sous cette forme.

Huit épisodes. Comme huit parties d’un long film hypnotique. Une enquête menée par deux policiers denses, bien que différemment, et répartie sur 17 ans. Rust Cohle (Matthew McConaughey) et Martin Hart (Woody Harrelson) sont interrogés séparément, en 2012, sur une affaire datant de 1995. Un meurtre rituel qu’ils ont élucidé à deux, dans la douleur. Rien de bien révolutionnaire sur le fond: un serial killer, des complots pédophiles, des rednecks, un duo de flics que tout oppose. Déjà vu. Pas souvent sous cette forme en revanche, et encore moins en télé. Allers, retours, flashbacks, flashforwards, éclatement du temps et de la narration: tricotée au fil de soie, True Detective distribue aux curieux les cartes d’une intrigue complexe et torturée. Au point que, comme n’importe quel plat mijoté, c’est encore meilleur réchauffé: revoir ces huit premiers épisodes en un bloc donne autant, si pas plus de plaisir qu’à la première vision. Parce que Carcosa prend tout son sens et que -attention, spoiler- le Yellow King, à portée d’arrestation, tondait innocemment une pelouse à la fin de l’épisode 3… Jouissif, mais pas forcément neuf: les fans de Game of Thrones, par exemple, en connaissent un rayon en termes d’intrigues emberlificotées.

Brad Pitt dans la saison 2?

Ce qui change, ici, c’est le format. Inspiré par The King in Yellow, vieux recueil de nouvelles de Robert W. Chambers, le romancier louisianais Nic Pizzolatto a écrit tous les épisodes de True Detective. Des épisodes que Cary Fukunaga (Jane Eyre) a réalisés les uns après les autres. D’où l’extrême cohérence à la fois du récit, de ses contre-pieds chronologiques et de ses fulgurances philosophiques, mais également de la mise en scène brumeuse, gorgée des paysages amples et désolés de la Louisiane. Mais il y a plus. Le quatrième épisode, emblématique, offre six minutes d’un plan séquence absolument soufflant, comme s’il fallait rappeler qu’en 2014, certaines séries parlent la même langue que le grand cinéma, loin, très loin de ce que raconte la télé de papa. Au niveau de l’abattage des acteurs notamment.

Il y a, chez Matthew McConaughey, assurément plus de Brando que de Brandon (Walsh, celui de Beverly Hills 90 210): sa prestation, qui lui permettra probablement d’offrir à son Oscar déjà reçu deux nouveaux copains, Emmy et Golden Globe, n’a d’égale que celle de son partenaire Woody Harrelson, tout aussi impressionnant dans un rôle pourtant moins flamboyant. Seulement voilà, et c’est l’une des autres particularités de True Detective: sauf surprise de dernière minute, le duo restera gravé à jamais dans la légende de ces huit épisodes initiaux. Logique finalement. Frustrant aussi. Mais salutaire: trop de séries rompent à force de tirer sur une corde usée et artificielle. Si Prison Break s’était contentée d’évader Michael Scofield par exemple, ses fans ne seraient pas obligés de s’excuser pour en dire du bien. La boucle du duo Cohle-Hart étant superbement bouclée, Nic Pizzolatto prendra la tangente pour aller explorer d’autres terres, d’autres flics, en évitant une comparaison trop frontale avec cette première intrigue. « C’est très tôt pour en parler, mais je peux vous dire que cela parlera de femmes fortes, d’hommes mauvais et de l’histoire occulte du système des transports aux Etats-Unis », confiait récemment l’écrivain au sujet de cette deuxième saison forcément mystérieuse, mais qui pourrait donc laisser davantage d’oxygène aux personnages féminins, tout en accueillant -c’est la grosse rumeur du moment- Brad Pitt en personne dans son générique. Autant dire que Nic Pizzolatto et Cary Fukunaga sont attendus au tournant par une génération de séries-addicts qui désespérait un peu d’être à ce point chamboulée, désarçonnée, et passionnée par une fiction télé novatrice.

TEXTE Guy Verstraeten

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