LE 2E TOME DE BLAST CONFIRME LE VIRAGE ÂPRE ET EXIGEANT, SÉRIEUX ET DONC UN PEU CHIANT, AMORCÉ PAR MANU LARCENET DEPUIS LE COMBAT ORDINAIRE. QU’IL SEMBLE LOIN LE TEMPS DES PANTALONNADES MADE IN FLUIDE GLACIAL…

A peine retrouve-t-on le gaillard à la terrasse du Belga, place Flagey à Bruxelles, qu’aussitôt la galerie aussi hétéroclite que foisonnante de personnages imaginés par le sieur Larcenet depuis plus de 15 ans nous saute littéralement au visage. Il y a en effet du Bill Baroud, du Nic Oumouk, du Marco ( Le Combat Ordinaire), du Polza ( Blast) et, forcément, du Manu Larssinet ( Le Retour à la Terre) dans cette boule de nerfs trapue et tatouée, portant la casquette et la barbe, éparse, en bataille, qui fixe d’un £il rond, le sourire en coin, notre t-shirt estampillé Big Lebowski avant de s’enthousiasmer sur le caractère particulièrement chaleureux et avenant de la faune locale sous le soleil de plomb de ce mois d’avril carrément estival.

Se réclamant des BD de Cosey et du cinéma de Jarmusch, Manu Larcenet est venu nous parler du 2e tome de Blast, une série âpre et ambitieuse articulée en 5 tomes de 200 pages. Ou plutôt 4 tomes de 200 pages.  » Chemin faisant, j’ai trouvé une nouvelle fin, qui est meilleure que celle que j’avais imaginée à l’origine mais qui me prive d’un 5e album. Quelque part ça m’arrange parce que depuis que j’ai lancéBlast , je n’arrive pas à faire autre chose: ce serait bien de s’arrêter avant que je devienne fou.  » Et de promettre aussitôt de refaire de l’humour pur et dur une fois sa tétralogie terminée.

Blast ou l’histoire de Polza Mancini, un type obèse, en rupture avec la société, qui se retrouve en garde à vue pour le meurtre supposé d’une jeune femme. Là, il revient sur son histoire, et s’enclenche le récit noir, suffocant, d’un étonnant retour à la terre, en solitaire, d’une errance aux confins de l’humanité, émaillée de foudroyants états de grâce, ces fameux blasts abolissant le temps et l’espace.

A l’origine de la série? Une histoire vieille de 25 ans, imaginée à l’adolescence…  » Je voulais raconter la dérive d’un type qu’on retrouvait en prison. Mais je n’avais pas le vocabulaire, ni littéraire ni graphique, pour le faire à l’époque. Cette idée, elle m’est restée dans un coin de la tête. Quand j’ai terminéLe Combat Ordinaire , j’étais un peu désemparé. Je ne voulais pas redonner dans l’humour tout de suite parce que j’en avais fait plein à Fluide Glacial, et je ne voulais pas non plus d’un truc qui ressemblerait au Combat . Je me suis dit que je n’avais jamais fait d’album sur la maladie mentale, sur ces gens qui vont à l’extrême des choses, c’était l’occasion d’y aller, avec un type qui pour le coup est vraiment entamé.  »

Le déclencheur? La lecture de L’Homme qui marche de Jirô Taniguchi…  » J’ai réalisé que Taniguchi pouvait se permettre d’utiliser le silence, le blanc, le vent, parce qu’il évoluait dans un format dépassant les 100 pages. Je me suis dit que si je voulais appliquer ça à mon histoire glauque, il fallait impérativement que je fasse pareil. Avec 200 pages par album, j’aurais vraiment le temps de m’éclater graphiquement. Ce que je n’avais pas prévu, c’est que ça supposait d’être plus tendu dans l’histoire. Comme je fais beaucoup de scènes de contemplation, de rapport à la nature, tout ça, qui peuvent être jugées emmerdantes, il faut qu’elles soient constamment contrebalancées dans le rythme par quelque chose qui va garder le lecteur en éveil.  »

Graphiquement fascinante (un noir et blanc charbonneux à peine traversé par quelques éclats de couleurs), libre dans la forme (de nombreuses planches muettes et méditatives), la série Blast touche au c£ur avec des thèmes forts, durs, charriant dans leur sillage une série de questionnements sur l’existence. Au risque, à l’occasion, de se faire moralisatrice. Ou de jongler maladroitement avec les lieux communs ( » C’est étrange que ces médicaments du mal-être soient l’apanage des sociétés dont la priorité n’est plus la survie. A croire que l’angoisse naît du confort. « ).

Le cul entre 2 chaises

Une £uvre à la fois géniale et bancale donc, un peu comme le parcours d’un Larcenet ni vraiment indé ni totalement mainstream, et refusant par-dessus tout le rattachement à une quelconque chapelle… « Blast , c’est de la bande dessinée classique, même si le sujet l’est un peu moins. Je veux être lu aussi bien par les types de la banlieue où j’ai grandi que par les intellectuels du coin. Je n’ai rien inventé. Ce que je fais c’est grand public, point. Dans le monde de la BD, j’ai une place marrante aujourd’hui. D’un côté, je ne suis pas aimé par les gros éditeurs qui me trouvent trop underground, trop prise de tête, et de l’autre, je suis détesté par Cornélius, Menu et toute la clique indépendante qui me taxent de voleur, de vulgarisateur. J’ai ce cul entre 2 chaises qui fait que je me sens vachement bien. Même si ça m’en a coûté, parce qu’à 20 ans j’aurais adoré traîner avec les gens de L’Association. Et ils m’ont rejeté comme une merde, parce que je copiais Blutch, des conneries comme ça. Maintenant, je me sens bien tout seul. Je ne suis plus de Fluide, je suis de Dargaud dans une certaine limite parce que je ne me reconnais pas dans tout leur catalogue, je ne suis pas de L’Association, ni de Soleil… Je suis de mon truc. »

Plus loin, il ajoute:  » Toute cette crise de l’Association (1), je m’en cogne. L’Association c’est une structure, comme Auchan. Et je m’en cogne si Auchan va mal. Moi ce qui m’intéresse, ce sont les auteurs, les livres. L’Association c’est une maison d’édition, et je m’en cogne des maisons d’édition. Ils n’ont qu’à faire SuceMoiLaBite éditions et j’achèterai les livres s’ils sont bons. Tout ce cinéma autour de L’Asso, ce que j’en dis? Les loups se bouffent entre eux, ce n’est pas mon affaire. »

(1) FIGURE DE PROUE DE L’ÉDITION INDÉPENDANTE EN BD, L’ASSOCIATION, FONDÉE EN 1990 PAR MENU, TRONDHEIM, DAVID B., MATTT KONTURE, KILLOFFER, STANISLAS ET MOKEÏT, TRAVERSE UNE CRISE PROFONDE DEPUIS LE DÉBUT D’ANNÉE (LIRE FOCUS DU 18/02).

u BLAST T. 2, ÉDITIONS DARGAUD, 204 PAGES. ***

RENCONTRE NICOLAS CLÉMENT

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