Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Je t’aime moi non plus – La moitié féminine d’Everything But The Girl -en pause-carrière depuis 2002- offre une réflexion à peine désabusée sur les peines de couple après la quarantaine…

« Love And Its Opposite »

Distribué par Pias.

La séparation, le crash de couple, la fissure matricielle, voilà un thème dont on fait des tubes, au moins depuis le D.I.V.O.R.C.E. chanté par la country girl Tammy Wynette en 1968. Le rock est également squatté d’albums désespérés écrits sous le coup de flops sentimentaux: entendu chez Dylan, Beck, Sinatra ou Gainsbourg, ce dernier en faisant même pendant quelques années une source récurrente d’inspiration. Ils sont généralement le fait de protagonistes s’épanchant sur leurs propres déconfitures, parlant à la première personne de cette bombe atomique qui disperse, parfois pour toujours, les grandes illusions. Ce qui n’est pas le cas de Tracey Thorn, en couple depuis 29 ans et mariée en 2009 avec son éternel prétendant, autre moitié d’Everything But The Girl, Ben Watt. On se souvient surtout d’eux physiquement par le clip de Missing, délice électronique de 1995. Watt, souffrant d’une rare maladie auto-immune (1), y apparaissait totalement décharné, silhouette famélique vue dans d’autres circonstances, plus dégueulasses, de l’Histoire. C’est dire que ces 2 corps-là, Ben & Tracey, finalement mariés, constituent une sorte de contre-exemple de l’album qui nous occupe. La réflexion est venue à Tracey en observant les couples de connaissance, tombant comme des mouches aux alentours de la quarantaine. Les 10 chansons écrites sur le thème de la séparation et de ses aléas, puisent 2 fois dans la reprise de morceaux pas forcément connus (signés par Lee Hazlewood et les Hongrois de The Unbending Trees), mais l’ensemble explore de façon cohérente la désagrégation d’une union. Depuis le thème de l’engagement ( Long White Dress), Thorn glisse vers celui de la rupture totale ( Oh! The Divorces) ou encore, s’empare du sentiment horrible de faire du surplace dans les relations au long terme ( Swiming).

L’ombre du doute

Tout cela n’est certes pas d’une gaieté folle mais selon un schéma créatif bien connu, confirme implicitement que doute et souffrance constituent les mamelles d’une authentique création musicale. Celle-ci prend la forme d’un écrin le plus souvent acoustique bercé de cordes au rôle apaisant alors que les mots désabusés enclenchent leur sémantique de sape:  » Who’s Next, who’s next?/Always the ones that you least expect/They seemed so strong/Turned out she wanted more all along. «  Ce contraste entre sérénité musicale et pessimisme des textes trouve un troisième protagoniste: la voix de Tracey. A 47 ans, elle en domine parfaitement la texture mixte, un peu folk, un peu white soul, ligne claire ponctuée d’une profondeur anthracite. D’autant plus émouvant que la voix investit une dose majeure de mélancolie, mais sans pathos. L’une ou l’autre plage prend un visage légèrement plus électronique, ce qui se marie parfaitement bien à cette hypnotique visite d’un échec viscéralement humain. l

(1) le syndrome de Churg-Strauss.

www.traceythorn.com

Philippe Cornet

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