Toute femme est une île

© Alcock

Dans un roman de mise en mouvement perpétuel, Julia Kerninon fait tournoyer dans une spirale de secrets son héroïne en quête d’émancipation.

Nous faisons connaissance avec Liv Maria, héroïne-titre alors même qu’elle n’est qu’un embryon potentiel dans le désir de ses parents –  » c’est une scène hommage au roman anglais Tristram Shandy de Laurence Sterne« , souligne Julia Kerninon. Ce premier écho donnera le ton: dans ce roman, les livres des autres ont aussi toute leur place. La petite fille grandit sur une île et dans le sillage d’autres personnages de l’autrice, elle est  » très autonome, avec d’abord une vie intérieure, privée« . Longtemps, en enfant unique, elle est choyée par les adultes, en particulier par son père norvégien, Thure, qui lui donne le goût de la lecture (de Beckett à Jack London). Mais en 1987, après qu’un étranger a profité de la promiscuité d’une Volvo pour la toucher, voilà l’adolescente de 17 ans envoyée illico à Berlin par sa mère, chez qui l’incident a ravivé un traumatisme douloureux. Accueillie comme fille au pair par sa tante après cette  » chute du paradis de l’enfance« , Liv Maria laisse à nouveau l’inconnu entrer dans sa vie en débutant des leçons d’anglais avec Fergus O’Shea, professeur plus âgé. Loin de ses repères, elle voit chez cet Irlandais amoureux des livres comme un refuge familier. Si au détour de cette relation estivale transgressive elle se découvre un corps fait pour autre chose que pour pêcher ou courir,  » viendra le moment où [lui] sera brutalement rappelé combien une bénédiction peut aussi devenir une blessure« .

Toute femme est une île

Après ce véritable moment de bascule dans sa trajectoire et le décès prématuré de ses parents, Liv Maria multipliera les départs et les métamorphoses, sans échapper au fatum ni à l’impact d’amours successives qui contribueront aussi à la redessiner. Elle ne s’enracinera jamais durablement, poussée par l’impulsion d’enfin se trouver elle-même, par-delà le visage tantôt serein, tantôt tragique, tantôt obstiné qu’elle présente au monde. L’autrice s’explique sur cette sensation de collage, ce cycle de mues:  » C’est un livre qui parle de la puissance des femmes et du fait qu’elles sont beaucoup plus solides et complexes que l’image qu’ont tendance à en donner les hommes, notamment dans leurs fictions. Je construis toujours mes personnages petit à petit, à la manière des plasticiens: j’espère que si j’alterne un passage drôle, avec un passage où elle se montre courageuse ou tendre, les lecteurs finiront par voir mon héroïne comme moi. » Liv Maria, éblouissant portrait impressionniste, se refuse d’ailleurs à choisir entre acuité des sens et célébration spirituelle: il y a ici autant un hommage au pouvoir de la langue, tantôt familière tantôt intrinsèquement porteuse de danger, qu’à la façon dont cette héroïne existe corporellement. Le lecteur ne peut qu’en sortir grandi, à l’affût de sa propre clairière où affirmer un « je ».

Liv Maria

De Julia Kerninon, éditions L’Iconoclaste, 320 pages.

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