AVEC MOMMY, XAVIER DOLAN CONTINUE D’EXPLORER LA RELATION MÈRE-FILS AU CoeUR DE SON oeUVRE. ET SIGNE UN FILM D’UNE ÉMOUVANTE DENSITÉ, LE TÉMOIGNAGE INSPIRÉ D’UNE MATURITÉ PRÉCOCE.

Le discours de Xavier Dolan recevant le Prix du jury restera assurément comme l’un des temps forts du dernier festival de Cannes. Dans un élan chargé d’émotions, le cinéaste québécois devait, outre les remerciements d’usage et un hommage appuyé à Jane Campion, s’y adresser à sa génération -« Restez fidèles à ce que vous êtes. Nous pouvons changer le monde par nos rêves (…). » Manière de profession de foi pour un auteur-réalisateur n’ayant cessé, depuis J’ai tué ma mère, son premier long métrage sorti en 2009, de maintenir un cap éminemment personnel, contre vents et marées au besoin, au gré d’une filmographie déjà conséquente -cinq longs métrages en autant d’années.

Des femmes qui gagnent

A cet égard, Mommy s’inscrit sans conteste dans la lignée de l’oeuvre. Mieux même, le film semble entretenir un rapport étroit avec l’opus qui avait fait découvrir le réalisateur, jeune prodige de pas encore 20 ans à l’époque, s’immisçant, comme celui-là, au coeur d’une relation mère-fils délicate. « Mon point de vue sur les relations mère-fils et les dynamiques qu’elles incluent n’a pourtant guère évolué, sourit-il. Mais d’un film à l’autre, les rapports de force entre ces deux figures ont changé: dans J’ai tué ma mère, il s’agissait d’un fils haïssant sa mère, et dans Laurence Anyways d’une mère rejetant son fils, ou plutôt sa fille. Et là, ils ne se rejettent aucunement, il se trouve simplement que la société elle-même, telle qu’elle est construite, ne leur permet pas de s’aimer comme ils le voudraient. Il y a tout d’abord la strate sociale à laquelle ils émargent, avec cette indigence qui est presque dans leurs gènes, un « white trash » dont il est si difficile de sortir. Et si la mère a les couilles pour le faire, la maladie de son fils, une autre variable de l’équation, vient rendre les choses encore plus malaisées. En dépit de leur amour mutuel, ils sont voués à l’échec, et cela, dès le départ… Mon point de vue personnel n’a pas changé, c’est juste la situation qui est différente. »

D’un film à l’autre, Dolan n’en finit donc pas de revenir à LA mère, sujet qu’il dit connaître sous toutes ses coutures, et figure dont il ajoute qu’elle l’« inspire inconditionnellement », « elle qui aura, quoi qu’on en fasse, le dernier mot, dans ma vie. » A l’opposé, mais comme en une conséquence logique, la figure paternelle est, pour sa part, étrangement absente de son cinéma. « Je n’étais pas très proche de mon père, enfant, mais je n’éprouve pas de ressentiment, cela ne me pose pas de problème. Simplement, c’est là une figure qui ne m’inspire guère pour le moment. Je n’ai pas envie de raconter des histoires de pères, je n’ai pas le sentiment qu’ils doivent être défendus. Ils existent déjà au cinéma, et sont bien représentés dans les histoires en général, alors que les femmes me semblent plus mériter cette place. En tout cas, des personnages féminins avec de vrais buts et de vraies personnalités, et pas simplement des femmes définies par leur statut social: femmes victimes, strip-teaseuse, blonde stupide ou petite amie de…, toutes ces représentations qui me les brisent. Je veux voir les femmes gagner; enfin, sauf si cela devait arriver demain. Non, je plaisante… » (rires)

L’ombre d’un doute

La conversation se déroule, en effet, à la veille de la proclamation du palmarès du festival, et l’équipe de Mommy baigne dans une douce euphorie, à qui l’on promet le meilleur, voire même une Palme d’or. Rumeur à laquelle Dolan s’efforce de ne pas trop vouloir croire, non sans se réjouir de l’attention dont son film fait l’objet –« j’y ai vu l’expression de beaucoup d’amour, à l’image de celui que nous voulions donner, et c’est on ne peut plus plaisant après tous les efforts que nous avons consentis. On ne pouvait rêver réactions plus en phase avec les intentions du film. »

Une manière de reconnaissance, aussi, pour un cinéaste dont les mauvaises langues vous diront qu’il n’a pas que le talent d’insolent, lui qui semble, en toutes circonstances, afficher une inébranlable confiance en lui. « J’ai confiance en mes ambitions, mais pas nécessairement en qui je suis, ni en mon travail, tempère-t-il. J’évolue dans le doute permanent: je suis entouré de gens que j’apprécie, et qui n’arrêtent pas de me stimuler, me disant quand quelque chose n’est pas bon, ou médiocre. Nous veillons mutuellement à nous élever, intellectuellement et artistiquement, en jouant la carte de la franchise, et en nous rappelant quand il convient de rester simple, et d’éviter que ce soit trop cérébral ou complaisant par exemple. Mais lors d’une discussion avec une dizaine de journalistes, il faut se construire une façade, un personnage. Je suis fort différent dans l’intimité, en privé, et même dans l’atmosphère d’un tournage. J’essaye de bien faire les choses, et je suis fort nerveux à l’idée de ne pas y arriver ou de décevoir les gens. Je suis malade à la perspective de tourner un plan mal cadré dont je sais qu’il m’empêchera d’encore voir le film par la suite, faute de pouvoir en détacher ma pensée. » Un perfectionnisme pouvant le pousser aux extrêmes. Le genre, par exemple, vous explique-t-il, à rouvrir son prêt hypothécaire et à emprunter des milliers de dollars, histoire de tirer une nouvelle copie de Tom à la ferme, afin d’en escamoter un plan lui donnant de l’urticaire –« c’était un plan minime, vous ne l’auriez même pas remarqué, mais vous n’imaginez pas à quel point je pouvais le détester. »

S’il s’inscrit dans la continuité thématique de son cinéma, Mommy n’en apparaît pas moins également comme le film d’une maturité précoce, traduisant une évolution sensible dans l’art de Dolan, ce dont il ne disconvient d’ailleurs pas. « Artistiquement, j’ai changé de la manière la plus simple qui soit: j’ai appris de mes erreurs passées, et j’essaye de ne pas les répéter stupidement. J’ai compris que chaque film requiert son style propre. Sa théâtralité, ou moins de théâtralité. Et je me suis aussi éloigné d’une conception plus cérébrale du cinéma, ce qui n’exclut pas le style. » Pour le coup, le réalisateur a opté pour un aspect-ratio de 1:1, épousant au plus près les émotions des personnages –« ils constituent la clé. Ce sont eux qui vont décider de l’intérêt du public pour le film. » Une audace concluante parmi d’autres, bluffantes pour certaines, qui lui permettent de zigzaguer avec grâce sur la mer agitée des sentiments, à l’abri d’afféteries inutiles.

L’interroge-t-on sur sa conception du style, qu’il s’en réfère à Gore Vidal, qui affirmait: « Style Is Knowing Who You Are. » « On ne saurait mieux dire: quand on sait qui l’on est, on peut le partager avec le monde, et laisser connaître sa pensée, et la manière dont on envisage les choses. Quand vous savez qui vous êtes, vous pouvez réaliser des films qui accomplissent votre vision. Pas besoin d’être intelligent. » Celle à l’oeuvre dans Mommy n’aura pas manqué de remuer, tout en remportant une large adhésion. Un accueil dont le cinéaste confiait encore qu’il avait « effacé des années de doutes, et de profonds moments de solitude et de questionnements. » Sans pour autant le détourner de son envie du moment, celle de s’octroyer un break afin de reprendre des études. A l’image de son cinéma, Xavier Dolan n’a pas fini de nous surprendre…

RENCONTRE Jean-François Pluijgers, À Cannes

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