Nurten Aka
Nurten Aka Journaliste scènes

À L’INSTAR DES ARTS PLASTIQUES, LES ARTS DE LA SCÈNE CONNAISSENT AUSSI QUELQUES COLLECTIFS, CERTAINS PLUS ENGAGÉS QUE D’AUTRES.

Au théâtre, on entrait jadis en collectif comme on entre en religion: corps et âme. Dans l’esprit peace and love, chacun avait (plus ou moins) son mot à dire pour jouer, mettre en scène, écrire, coudre les costumes, fabriquer le décor, changer une ampoule, ou balayer les planches. Têtes de série d’une époque, toujours vivants: le Living Theater de Julian Beck et Judith Malina et le Théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine. C’était l’époque des utopies: vie en communauté, engagement politique, recherche d’un public populaire, etc. Julian Beck disait: « Je ne choisis pas de travailler dans le théâtre, mais dans le monde. Le Living Theatre est devenu ma vie, le théâtre vivant.  » La fin des années 70 sonne le glas de l’esprit communautaire. Philippe Caubère se casse du Soleil, le Living entre dans la tourmente après la tournée Paradise Now (sic). En Belgique, cet esprit soixante-huitard s’infiltre, dans les années 80, dans le Groupov, toujours dirigé par le metteur en scène Jacques Delcuvellerie, au coeur d’explorations théâtrales intenses, certains diront de « jeux pervers »… L’épo- que des gourous, c’est fini.

Les années 80, dominées par les metteurs en scène, donnent au final naissance à quelques collectifs audacieux. En 1989, TG Stan à Anvers et Transquinquennal à Bruxelles secouent le cocotier. Ces comédiens sortis du Conservatoire refusent le paysage théâtral avec metteurs en scène, textes d’auteurs/répertoire et acteur exécutant. Sur son site, Transquinquennal affiche son engagement avec « une pratique collective où chacun est dépositaire de l’oeuvre et de son sens »… TG Stan écrit: « Stan est résolument tourné vers l’acteur… et refuse de s’intégrer dans une compagnie existante… (avec) esthétisme révolu, expérimentation formelle aliénante et tyrannie du metteur en scène« . Deux collectifs dont les spectacles sont toujours attendus démontrent que la pratique théâtrale tient parfois la route d’une utopie réalisée.

2000, le collectif ambivalent

Busy Rocks (2008) réunit cinq danseurs de P.A.R.T.S., le Raoul Collectif (2009), cinq comédiens du Conservatoire de Liège, Mariedl (2007), trois metteuses en scène-comédiennes de l’Insas, le Collectif Rien de Spécial (2011), trois acteurs… On pourrait croire que la crise va favoriser le retour du collectif. « Je ne pense pas qu’il y a un regain d’intérêt pour le collectif dans le sens politique des années 70 où les décisions se prenaient en commun, explique Matthieu Goeury, programmateur scène au Vooruit. Aujourd’hui, c’est plutôt une forme de mutualisation des ressources. Pour Superamas, collectif est un label. En interne, chacun a une compétence artistique (mise en scène, technologie-vidéo, etc.). Il y a une forme de hiérarchie, même s’ils signent tout sous le nom Superamas. Ce n’est pas parce que l’écriture est collective que nécessairement il y a un collectif. » En 2003, on est secoué par le Groupe TOC, collectif d’artistes sortis de l’Insas. « Un vrai collectif qui voulait sortir de la structure hiérarchique, confirme Matthieu Goeury, mais qui n’a pas tenu, parce que tout mettre à plat, décider ensemble, reste difficile à tenir dans la durée. TG Stan et Transquinquennal peuvent être vus comme des exceptions. »

Cette utopie n’en finit pas de couler. Actuellement, elle se cristallise sur le Raoul Collectif qui a fait une entrée fracassante avec Le Signal du promeneur, dans la foulée de leurs études au Conservatoire de Liège. Sur leur site, ils écrivent: « De cette dynamique -sorte de laboratoire pratique de démocratie-, de la friction de leurs cinq tempéraments se dégage une énergie particulière, perceptible sur le plateau…  »

Leur drôle de spectacle sur des figures rebelles fait un tabac, en tournée jusqu’en 2014! Aujourd’hui, sans entrer en religion, les jeunes artistes se réunissent par affinités électives. Pour Olivier Hespel, entre autres dramaturge à L’L: « Les collectifs interrogent un mode de fonctionnement qui reste un signal pour l’extérieur, les médias, le public ou les responsables d’institutions qui ont pris l’habitude de voir un seul responsable (le metteur en scène) signer le spectacle alors que toute création se nourrit de la créativité de chacun. En danse, depuis longtemps, le chorégraphe travaille sur base d’improvisations des danseurs qu’il impulse. C’est souvent affiché au programme, du genre « une chorégraphie en collaboration avec les danseurs ». Aujourd’hui, il y a peut-être une volonté d’affirmer un travail de groupe, même indirectement comme par exemple la Cie Utopia d’Armel Roussel où on sent dans ses spectacles que chaque acteur a sa part de jeu, qu’il orchestre sans uniformiser. »

Comme l’affirme le site du collectif Marriedl, au-delà de « mutualiser les moyens, nous avons été formés dans l’idée que l’acteur est un créateur au même titre que le metteur en scène« … Le collectif induit un travail artistique au long cours. « Nous partageons, explique Busy Rocks, une certaine réflexion sur ce qu’est la danse. Notre affinité est notre histoire commune chez P.A.R.T.S. et notre désir de partager ensemble notre travail plutôt que de travailler seul dans son coin. »

Plus soft et moins engagés, les nouveaux collectifs semblent moins passionnels, nés un peu par hasard sur l’expérience d’études et de spectacles vécus, d’une aventure à poursuivre, sans s’enfermer sur soi-même, sans urgence, ni la nécessité du poing levé, avec des idéaux politiques moins visibles, loin finalement des collectifs d’antan. Autre époque, autres moeurs. Ce qui n’empêche le théâtre-action de certains collectifs comme Collectif 1984 ou encore le Collectif Mensuel qui présente du 23 au 26 avril, au théâtre de l’Ancre à Charleroi, L’Homme qui valait 35 milliards de Nicolas Ancion, histoire de causer de l’époque capitaliste au symbole « Lakshmi Mittal »… Le spectacle est un art collectif, sur le monde.

NURTEN AKA

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