Sur la route – Mathieu Amalric signe un film savoureux et insolite, sur les pas d’une troupe de strip-teaseuses américaines embarquées sur les routes françaises par un producteur à la dérive.

De et avec Mathieu Amalric. Avec Evie Lovelle, Mimi Le Meaux, Dirty Martini. 1 h 51. Sortie: 30/06.

Elles ont pour nom Mimi Le Meaux, Kitten on the Keys, Dirty Martini, Julie Atlas Muz et Evie Lovelle, à qui l’on a adjoint Roky Roulette, et sont les stars de Tournée, le quatrième long métrage de Mathieu Amalric réalisateur. Road movie insolite, le film nous emmène dans la province française en compagnie d’une troupe de strip-teaseuses New Burlesque que Joachim (Amalric soi-même), un producteur à la dérive, a ramenées d’Amérique. D’un fantasme l’autre: de son rêve états-unien, vite dissipé tel un écran de fumée, elles sont comme le vestige décalé, à qui il fait pour sa part miroiter une apothéose parisienne. Perspective qui apparaît toujours un peu plus lointaine, toutefois, à mesure que leur tournée les conduit de port en port et de galère en hôtel anonyme. Soit une morne litanie qui n’empêche pas leur spectacle, érotique et satirique, de déchaîner l’enthousiasme sur leur passage, pas plus qu’elle n’a le don d’entamer leur bonne humeur, les effeuilleuses affichant, en sus de formes généreuses et d’un look extravagant, un humour résolument dévastateur. S’il doit certes un peu à Cassavetes, et à The Killing of a Chinese Bookie en particulier, son personnage de producteur empruntant au Ben Gazzara d’alors, Tournée est surtout un régal de film atypique. îuvre à géométrie multiple, voilà, en première lecture, l’histoire d’un homme égaré en même temps qu’un hommage à un univers, rare à l’écran, et à ses vedettes. Cette troupe New Burlesque, Mathieu Amalric nous en fait partager l’intimité, s’immisçant dans les coulisses d’un spectacle de strip-tease dont il révèle bientôt les qualités insoupçonnées. Et notamment celle, engagée, de sketches qui, pour être souvent outranciers n’en portent pas moins la critique en divers points sensibles; jusqu’au naturel résolument décomplexé de ses protagonistes qui est un geste politique en soi. Revers de cette flamboyante médaille (ou envers du décor, c’est selon), le film donne aussi à partager la douleur des matins tristes qui substituent le spleen au strass, s’arrêtant sur ce no man’s land brumeux qu’est encore la vie en tournée.

A cette double dimension, Tournée ajoute un regard en prise joliment décalée sur un monde appréhendé dans un mélange de poésie, d’humour et de mélancolie. Jusqu’à trouver les accents d’une forme de subversion douce que n’aurait pas décriée un Iosseliani -ainsi, par exemple, du running-gag de l’impresario demandant à baisser la musique dans les lobbys d’hôtel, plaidoyer discret et drolatique contre une uniformisation en marche.

Have love, will travel

Autant dire que s’il tient de l’ovni, ce film, vibrant de liberté, est plus encore une savoureuse réussite, euphorisante au point qu’on en oublierait ses menus défauts -quelques moments de flottement et autres longueurs émaillant un volet parisien plus convenu celui-là. Récompensé du prix de la mise en scène à Cannes, Tournée aurait aussi bien pu valoir à ses interprètes, ambassadrices rock’n’roll de la cause féministe, un prix d’interprétation collectif, tant il y a quelque chose d’irrésistible et de stimulant à leur façon de s’approprier la scène, l’écran et bientôt le monde. Au son des Sonics, et de Have Love, Will Travel qui plus est… l

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Jean-François Pluijgers

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