POUR ILLUSTRER LA POCHETTE DE LEUR NOUVEL ALBUM, LES GIRLS IN HAWAII ONT CHOISI LE TRAVAIL D’UN PEINTRE BELGE QUI N’EST PAS TOUT À FAIT DE CE MONDE: THIERRY DE CORDIER.

Une rencontre -en forme de discussion à bâtons rompus- entre les Girls in Hawaii et le peintre flamand à qui l’on doit la toile qui figure sur la pochette d’Everest, leur nouvel album. Sur papier, l’idée était excellente. Dans la réalité, c’était sans compter sur la personnalité sans compromis de Thierry De Cordier, que le groupe n’a en fait jamais rencontré. L’homme se tient loin des médias, des pince-fesses et des courbettes. Il n’a pas de téléphone et encore moins de mail. Pour le contacter, il faut en passer par cette bonne vieille poste. Il paraît d’ailleurs que ses lettres sont des splendeurs écrites à la plume, rendues précieuses par une calligraphie d’un autre temps. Ce n’est pas vraiment une surprise quand on sait que Thierry De Cordier s’est toujours défendu d’être de ce siècle. Misanthrope? Pas vraiment, plutôt en retrait. Par le biais de sa galerie, Xavier Hufkens, le peintre ostendais a fait savoir qu’il était touché par l’hommage du groupe belge -pour l’anecdote, on signalera qu’il a permis l’utilisation du visuel sans contrepartie financière. Reste que la reconnaissance n’a pas suffi à le faire sortir de son isolement. On peut légitimement suspecter que De Cordier craint les scribouillards et leur aptitude à faire circuler les mots avec une facilité directement inspirée des éoliennes qui s’y entendent comme pas deux pour brasser le vent.

Lors de son exposition à Bozar (2012), n’avait-il pas écrit: « Les quelques oeuvres, ici réunies, ne sont ni intéressantes, ni sociales au sens où le veulent les journalistes et la critique aujourd’hui. Non, elles sont radicalement désintéressées du quotidien ainsi que de son spectacle navrant. Autrement dit: Elles s’en tapent! » Difficile d’être plus clair. Il est vrai que pour un artiste travaillé par des questions métaphysiques et existentielles, les mots, insupportables girouettes, inspirent la méfiance. Là aussi, on s’en réfère à la note d’intention pour le Palais des Beaux-Arts: « (…)D’autre part, que peut réellement exprimer le langage au regard d’une peinture qui se tait? Et comment pareille peinture peut-elle, tout simplement, être dite? Et faut-il nécessairement en dire quelque chose? La commenter? Vouloir l’expliquer? Et si oui, pourquoi vouloir expliquer des choses qui, à vrai dire, ne demandent pas à l’être? » On l’aura compris, De Cordier se sent plus à l’aise avec le silence qu’avec le bavardage de type « service après-vente ». « Les mots ne peuvent pas exprimer la complexité du sublime« , se plaît-il encore à écrire.

Vagues à l’âme

Que sait-on de Thierry De Cordier? Peu de choses. Il est né à Audenarde en 1954, sa jeunesse a été nomade et plus tard -mais quand?-, il s’est installé à Ostende pour regarder la mer et tourner le dos au monde. On sait également qu’on doit à ce peintre un lieu improbable mais tellement emblématique, De Kapel van het niets à Duffel -« La Chapelle du rien » en VF. Il a imaginé ce bâtiment -s’inscrivant dans la lignée d’une construction comme la Brother Klaus Field Chapel de Peter Zumthor à Wachendorf- à la demande de l’hôpital psychiatrique de Duffel qui cherchait à se doter d’un lieu d’accueil et de rencontre dans son parc. L’ambition? Faire converger patients et visiteurs dans un même espace pour que la démonstration soit faite que ce n’est pas dans l’exclusion et l’enfermement que réside la réponse à la maladie mentale. Cette idée d’un refuge contre le bruit et la fureur s’inscrit pleinement dans la démarche artistique de Thierry De Cordier qui est aux prises avec la notion d’espace mental comme lieu où s’adresser au monde. S’il est athée, le peintre n’en a pas moins le sens du sacré et celui de l’ascèse monastique, ultimes remparts à un réel trivial.

Les autres éléments à glaner sur Thierry De Cordier sont livrés par son oeuvre, telle qu’on peut la découvrir en ce moment -et jusqu’au 24 novembre- à la Biennale de Venise. Dans la salle 9 du pavillon central, neuf de ses toiles dialoguent avec une sculpture de Richard Serra. Le commentaire officiel du pavillon belge? « Parmi ses thèmes récurrents on trouve les montagnes, les paysages marins, et les paysages désolés qui sont en partie inspirés des vastes peintures topographiques en noir et blanc réalisées en Chine aux XIe et XIIe siècle, et qui pourtant saisissent les qualités essentielles des paysages et de la lumière de l’Europe du Nord. Les ciels gris et les mers noir d’encre de ses monochromes évoquent la mélancolie, les scènes les plus dramatiques étant celles dans lesquelles les vagues et les falaises montagneuses fusionnent et incarnent les forces de la nature au sein d’une seule image primale. » Les Girls n’ont pas résisté à l’appel du large…

TEXTE Michel Verlinden

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