The Revenant
Alors que le label Dead Oceans réédite Still Some Light: Part 1, compilation de ses démos seventies, voici le portrait de l’énigmatique Bill Fay, génial songwriter anglais depuis dix ans ressuscité.
Pour Steve Gunn, illuminé par » la puissance de ses mots, le langage modeste et universel de son chagrin« , sa musique fut une révélation. » L’écouter me donne encore l’impression qu’un vieil ami se tapissait dans l’ombre, émergeant juste au bon moment. » » Bill Fay est une espèce de poignée de main secrète pour nous les musiciens, déclare de son côté Kevin Morby. Ceux au courant parmi nous sont obsédés par son oeuvre. Quand je l’ai entendu pour la première fois il y a des années, j’ai eu le sentiment de redécouvrir quelque chose que j’avais perdu et que je cherchais depuis longtemps. »
Le label Dead Oceans (Bright Eyes, Shame, Phosphorescent…) publie aujourd’hui des 45 tours sur lesquels les deux jeunes Américains reprennent des classiques du vieux songwriter anglais. Dust Filled Room pour le guitar hero Gunn et I Hear You Calling pour le toujours impeccable Morby. Il réédite aussi le premier volet de Still Some Light. Une fabuleuse compilation de démos enregistrées en 1970 et 1971 par le folkeur britannique, certains extraits figurant, réinterprétés, sur ses deux premiers albums.
Bill Fay est né en 1943, apparemment le 20 décembre, à Londres, et est aujourd’hui marié. C’est quasiment tout ce qu’il laisse filtrer de sa vie privée. Celle d’un homme secret, mystérieux qui, comme les exceptionnels Rodriguez et Vashti Bunyan, a eu droit à une seconde chance inespérée des décennies après avoir poli quelques joyaux injustement snobés par des bijoutiers peu inspirés.
Fay commence à écrire des chansons alors qu’il étudie dans une université du Pays de Galles. En 1966, il enregistre une démo avec le studio mobile de John Boden. Impressionné, Terry Noon, l’ancien batteur de Van Morrison et de Gene Vincent, l’aide à signer un contrat chez Decca à l’époque encore un peu groggy d’avoir loupé les Beatles. C’est l’ère des singers-songwriters. Durant ces années de contestation, de part et d’autre de l’Atlantique, les maisons de disques embauchent à tout va, bien décidées à dénicher le nouveau Bob Dylan. L’auteur, compositeur, pianiste et chanteur anglais sort un single ( Some Good Advice/Screams in the Ears) et deux chefs-d’oeuvre de folk rock ambitieux: l’orchestré Bill Fay (1970), ode à l’amitié, à la nature et à la paix, et le plus intense Time of the Last Persecution (1971), nourri par les horreurs de la guerre. Sa chanson titre a été écrite juste après le meurtre de quatre étudiants à l’université d’État de Kent, dans l’Ohio, par la garde nationale. Quatre étudiants qui manifestaient pacifiquement contre l’intervention américaine au Cambodge annoncée par le président Nixon. Le morceau est une réponse aux tanks qui roulaient alors sur le campus.
With a little help…
» Le chaînon manquant entre Nick Drake, Ray Davies et Bob Dylan« , a beau écrire Uncut Magazine placardé tel un sceau royal sur certaines rééditions. À leur sortie, les albums de Bill Fay se vendent mal (sans doute en raison d’une promotion et d’une diffusion insuffisantes) et la maison de disques décide de ne pas renouveler son contrat. Bill va disparaître pendant 40 ans de la circulation. Perdre son père d’un anévrisme, devenir gardien de parc, travailler dans une poissonnerie et fonder une famille. Il continue à écrire, à composer et à enregistrer pendant tout ce temps mais se coupe du milieu et de l’industrie. Bien que mis en boîte entre 1978 et 1981, Tomorrow, Tomorrow & Tomorrow, avec son titre prémonitoire, ne voit la lumière du jour qu’en 2005.
Comme pour Bunyan, déterrée par Devendra Banhart, CocoRosie, Animal Collective et compagnie, ce sont des musiciens qui vont extirper Bill Fay des cimetières de la musique et des affres de l’oubli. Rencardé par Jim O’Rourke, David Tibet de Current 93 part à sa recherche. » J’avais peu d’éléments. Les commentaires étaient généralement inspirés par la pochette de Time of the Last Persecution . « Je pense qu’il est quelque part à la tête d’un groupe religieux « ,« Il a totalement disparu « , « Il est devenu un ermite chrétien. « » Tibet finit par retrouver sa trace, publie sur son label Durtro le trésor caché et la compile aujourd’hui rééditée.
Jeff Tweedy ( » Je ne peux pas penser à quelqu’un d’autre dont les disques ont eu une telle signification dans ma vie« ) appartient lui aussi au rang des bienfaiteurs. Il reprend une de ses chansons qu’on l’entend d’ailleurs chanter dans le documentaire I Am Trying to Break Your Heart: A Film about Wilco. D’autres tels qu’Ed Harcourt, Okkervil River, The War on Drugs ou encore Marc Almond ont revisité l’oeuvre de Fay mais Wilco l’invite à le rejoindre sur scène à Londres et Tweedy participe à deux chansons de son quatrième disque, Life Is People (2012).
À l’origine de ce retour en studio, le songwriter et producteur californien John Henry n’a jamais compris comment Time of the Last Persecution avait atterri dans la collection de disques de son père dans la Sierra Nevada (l’album n’a jamais été distribué aux États-Unis). Mais à la mort de ce dernier, il s’est lui aussi décidé à retrouver Fay et l’a aidé à enregistrer un nouvel album. Depuis, le revenant en a sorti deux autres, Who Is the Sender? (2015) et Countless Branches (2020), mais il n’est pas pour autant reparti en tournée. » Je préférerais voir ma musique disparaître pour de bon (comme ce fut le cas pendant 30 ans) que de la voir circuler à travers une image mystique ou tragique« , commente Bill à propos de sa résurrection. Son voeu ne sera sans doute maintenant plus jamais exaucé.
Still Some Light: Part 1, distribué par Dead Oceans.
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