Pendant 2 décennies, Mohamed Ali a assuré le spectacle sur le ring mais aussi en dehors. Un livre percutant rend hommage à cette légende du XXe siècle qui a fait frétiller l’imagination de nombreux artistes d’hier et d’aujourd’hui.

Il a beau avoir raccroché son jab, ses gants et son fameux short blanc Everlast il y a 30 ans, son nom reste gravé en lettres d’or dans les mémoires. Pas seulement pour ses exploits sportifs (56 victoires en 61 combats, dont 37 par KO), mais aussi pour ses prises de position politiques radicales, son sens de la répartie assassin, ses coups d’éclat, sa mégalomanie. Autant de fils qui, tissés par la machine médiatique, ont confectionné une icône en fibres ultra résistantes. Une icône refusant de se coucher devant ses adversaires mais aussi devant une société américaine ségrégationniste dans la tête, sinon dans les lois. A la popularité que lui ont valu sa fougue, son style et sa verve, il a ajouté le soufre d’un militantisme inflammable classé X. Ce qui en a fait une sorte de héros des temps modernes, entre Che Guevara (pour la capacité à vibrer avec l’histoire) et Pelé (pour l’art du geste parfait). Ce Robin des bois frimeur et libre, capable à lui seul de provoquer l’orgasme d’un Madison Square Garden, allait logiquement faire fantasmer les artistes. Au premier rang desquels Dylan et Warhol. Il est encore régulièrement embrigadé par des représentants de la nouvelle génération qui, vu leur jeune âge, ne l’ont jamais vu en live sur le terrain d’opération en train de  » voler comme le papillon et piquer comme l’abeille« . Dans le livret qui accompagne son album de pop-soul psychédélique, The Archandroid, Janelle Monae le cite ainsi parmi ses références. Sur scène, l’ombre du boxeur plane d’ailleurs sur le monde rétro-futuriste dans lequel elle projette ses chansons hallucinogènes. Le message est clair: à la force de ses poignets et de son refus de rester à sa place, Ali a cassé ses chaînes. Pour ne rien gâcher, le gosse de Louisville attrapait la lumière comme personne. Les plus grands photographes, de William Klein à Annie Leibovitz, se sont ainsi penchés sur son cas, tentant de saisir dans la pâte argentique la trace de cette animalité mâtinée d’élégance. Il y a quelques années, Taschen dressait un portrait à la démesure du personnage avec un livre poids lourds (34 kilos!) regorgeant de photos sublimes (en particulier celles de Neil Leifer) et de textes lumineux (normal, des écrivains comme Norman Mailer sont du lot). La version plus « accessible » de ce monument (quelques kilos sur la balance et 100 biftons quand même) sort aujourd’hui. Ali en long et en large dont il ressort que le champion cumulait au moins 4 personnages en un. Que nous épinglons ici en autant d’arrêts sur image -tirés du livre ou d’ailleurs- qui laissent KO debout. l

u Greatest of all time – Hommage à Muhammad

Ali, éditions Taschen, 652 pages.

1 Ali le showman

Ce n’est pas pour rien que les médias l’ont baptisé le 5e Beatles. Il a amusé la galerie tout au long de sa longue carrière, multipliant les slogans clés sur porte. Deux exemples:  » L’homme qui voit à 50 ans le monde comme il le voyait à 20 a gaspillé 30 ans de sa vie« ou  » Vos mains ne peuvent frapper ce que vos yeux ne peuvent voir« – et les coups médiatiques tonitruants. Même quand il était en position de challenger, comme pour son célèbre combat contre Foreman au Zaïre en 1974 (dont la tension moite dégouline de la pellicule du documentaire When we were kings), c’est lui qui captait toute l’attention, ne laissant que les miettes médiatiques à son adversaire qui, sans doute éc£uré par cette démonstration de force et de coolitude, bâclera sa copie sur le ring.

2 Ali l’activiste

Loin d’être une conscience politique aiguë, Ali n’en avait pas moins le sens de l’histoire et un courage politique chevillé au corps. Dans un mélange de provocation et d’intuition historique, il a ainsi embrassé des causes qui lui ont coûté certes sa ceinture de champion du monde mais qui auraient pu aussi lui coûter son bien le plus précieux: sa popularité. Entre autres faits d’armes militants, citons sa conversion à l’islam (changement de nom à l’appui, Cassius Clay, son nom hérité de l’esclavage, passant à la trappe), son amitié démonstrative avec Malcolm X ou son refus d’aller se battre au Viêt-nam ( » Aucun Vietnamien ne m’a jamais traité de nègre« , dira-t-il pour justifier son choix). De quoi faire rôtir de rage les conservateurs. Mais aussi rallier à sa cause une jeunesse engagée.

3 Ali le sex-symbol

Les poids lourds font rarement dans la dentelle côté physionomie. Ali était l’exception. Grand (1,91 m) et élancé malgré son poids, il avait la grâce d’un danseur. En plus de l’humour et d’un sens peu commun du spectacle. De quoi gagner le c£ur de ces dames. Même les plus inoxydables apparemment…

4 Ali le provocateur

Autant il pouvait être affable, charmeur et souriant dans la vie civile, autant il pouvait se montrer odieux et même sadique envers ses « clients ». Ali, qui n’était pas à un paradoxe près, revendiquait ainsi haut et fort son afro-américanisme en même temps qu’il donnait de l' » Oncle Tom » (la pire des insultes pour un Noir aux Etats-Unis) ou du  » gorille » à Joe Frazier. Des dérapages plus ou moins contrôlés dont il se repentira plus tard.

Texte Laurent Raphaël

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