La vérité si je mens – Emboîtant le pas à un sidérant Matt Damon, Steven Soderbergh orchestre une savoureuse plongée dans le monde de la grande entreprise et de ses pratiques…

De Steven Soderbergh. Avec Matt Damon, Scott Bakula, Melanie Linskey. 1 h 48. Dist: Warner.

C’est le genre de film qui se déguste avec un plaisir gourmand, à savoir une comédie onctueuse et subtilement acidulée orchestrant, pour le coup, une savoureuse plongée dans le monde de la grande entreprise. On y suit Mark Whitacre (Matt Damon), cadre supérieur d’une société agro-alimentaire de Decatur, Illinois, qui décide un jour de se mettre à table. Entendez de balancer les pratiques frauduleuses et ententes illicites de son employeur, guère regardant sur les moyens (ni sur le contenu) s’agissant de pourvoir à l’alimentation de tout un chacun. S’ils n’en croient pas leurs oreilles et flairent le gros coup, les enquêteurs de la division locale du FBI se perdent aussi en conjectures sur les motivations profondes de leur informateur providentiel – un individu aux revenus plus que confortables, ayant plus à perdre qu’à gagner dans l’aventure, en apparence. Interrogations qui vont croissant dès lors que le zèle de notre homme, qui s’est pris avec entrain au jeu du parfait espion (au point de s’auto-proclamer agent 0014, parce que 2 fois plus intelligent que 007), s’assortit bientôt de volte-faces à répétition…

Mécanique de précision

Arrosé de la musique de Marvin The Sting Hamlisch, un plan, à peine, suffit à Steven Soderbergh pour inscrire son propos dans un ailleurs temporel, à mi-chemin de l’esthétique du cinéma des années 70 et de la réalité des années 90, à laquelle son film emprunte son intrigue. The Informant! est en effet inspiré d’une histoire vraie, dénonciation sans précédent d’une grande société empruntée à la chronique judiciaire américaine. Le charme, si pas l’intérêt du film, tient au traitement qu’en propose le réalisateur de la série des Ocean, qui amène judicieusement The Informant! sur le terrain de la comédie noire à tiroirs. Cela, tout en signant le portrait d’un personnage fascinant, une poupée russe à laquelle Matt Damon apporte consistance et ambiguïté, en sus des 15 kilos et postiches divers qui métamorphosent son profil de saisissante façon – qu’il n’ait pas été nominé à l’Oscar du meilleur acteur demeure incompréhensible.

Ce qui n’ôte rien aux évidentes qualités de ce film stylé, mécanique d’une rare précision superposant ses strates avec art, en une comédie grinçante dont la dimension critique implicite ouvre également sur la crise morale de l’Amérique. Du grand art, servi en Blu-ray avec une sélection de scènes coupées – celle où Mark Whitacre entreprend de monnayer ses services auprès des agents du FBI est assurément un grand moment -, ainsi que les commentaires conjoints de Steven Soderbergh et de son scénariste Scott Z. Burns. Ceux-ci constituent une mine de renseignements, où l’on apprend par exemple que le modèle pour la voix off de Matt Damon ne fut autre que le Seul contre tous de Gaspar Noé…

Jean-François Pluijgers

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