EN 2012, TIMO VUORENSOLA MET LE SOUK À LA BERLINALE AVEC IRON SKY, SPACE OPERA FARCEUR OÙ LE QUATRIÈME REICH FOMENTE UN RETOUR TRIOMPHAL SUR TERRE DEPUIS LA FACE CACHÉE DE LA LUNE. AVEC, EN FILIGRANE, CETTE QUESTION: LE NAZISME EST-IL SOLUBLE DANS LA COMÉDIE DE GENRE?

« Un jour, dans un sauna, un ami m’a raconté un rêve qu’il avait fait: il était occupé à rouler à bicyclette quand il se rendait compte qu’Adolf Hitler se trouvait sur son porte-bagages. Alors, celui-ci, visiblement très en colère, se mettait à crier dans ses oreilles, jusqu’à ce que mon ami se réveille. Son histoire a en quelque sorte fouetté notre imagination, et nous avons rapidement convenu qu’il était impératif de réaliser un film autour de nazis basés sur la Lune. Ça nous semblait être une idée d’enfer, avec un potentiel comique et visuel vraiment peu commun.  »

Avril 2012. Le Finlandais Timo Vuorensola, malicieux, savoure son petit succès dans l’antre de Tour & Taxis au lendemain de la projection forcément fendarde et bordélique de son Iron Sky dans le cadre du BIFFF. Deux mois plus tôt, le film suscitait la polémique à Berlin, où il était présenté dans la section Panorama, au point de devenir LA sensation du festival allemand. Et pour cause. Déjà responsable en 2005 d’un épisode de Star Wreck, la franchise rigolarde parodiant Babylon 5 et Star Trek, Vuorensola y imagine dans un futur proche -nous sommes en 2018- et à la Maison-Blanche un sosie de Sarah Palin envoyant pour l’apparente beauté du geste un mannequin black sur la Lune. Son véritable but? Briguer un second mandat présidentiel. Son slogan pour y parvenir? « Black to the moon? Yes she can. » Là, hélas, l’innocente marionnette publicitaire tombe sous le joug d’une colonie nationale-socialiste ambitieuse ayant trouvé refuge dans une base spatiale en forme de svastika géante après la débâcle de 1945, et préparant le retour triomphal du nazisme sur Terre à l’aide de la plus grosse machine de guerre jamais construite, le Götterdämmerung…

Situant ses enjeux au confluent potache de L’Aube rouge et de Mars Attacks, le film multiplie les références obligées -au Dictateur de Chaplin, au Docteur Folamour de Kubrick, à La Chute d’Oliver Hirschbiegel- mais aussi les couillonnades certifiées -entre l’aryanisation ratée d’un Noir éberlué et les moqueries grossières et répétées à l’encontre de l’impérialisme américain, assimilé pour le coup aux dérives fascistes- à même d’attiser l’ire des spectateurs tatillons. A Berlin, en effet, capitale d’un pays où imiter le salut hitlérien est tenu pour un acte criminel et où il ne fait légalement pas bon représenter des croix gammées, la guerre des tranchées s’organise. Tandis que les joyeux thuriféraires du film vantent un bon moment de plaisir trash, ses détracteurs, outrés que l’on puisse rire du passé honteux de l’Allemagne, dénoncent une dangereuse banalisation du nazisme sous couvert d’un humour décomplexé qui fait fi des garde-fous. A quoi le cinéaste, pas du genre à se démonter, répond placidement: « On joue beaucoup sur la symbolique et l’iconographie nationales-socialistes, qui sont très puissantes, c’est un fait, mais au bout du compte le film montre surtout que le nazisme et l’esprit de conquête mégalomaniaque mènent à la destruction du monde. Beaucoup de gens se sont dits outrés par le propos du film sans même l’avoir vu. A ceux-là, je suggère simplement de le regarder, ils s’apercevront que le discours anti-fasciste est là, clair et fort. Le film se moque du nazisme, de tout ce bullshit d’épuration raciale qui en sous-tendait l’idéologie, certes, mais jamais des victimes du régime. La distinction me semble cruciale. Au final, il est bien clair que ce sont les nazis qui se couvrent de ridicule et sont sanctionnés par le récit. » Moral, Iron Sky? « Ce n’est pas la raison d’être du film, entendons-nous bien. On parle ici avant tout d’une comédie d’action déconnante. Mais il y a définitivement un message, pacifique et positif, à la fin. » Comme quand la blonde aryenne revenue des dérives de ses pairs galoche l’Afro-Américain de service dans un grand élan d’amour qui transcende les différences.

Si Vuorensola se défend encore d’avoir voulu accoucher d’une oeuvre politique -« l’idée, c’est surtout de s’amuser« -, son film n’en multiplie pas moins les points d’accroche avec quelques sujets brûlants d’actualité, le fléau terroriste en tête. Un oeil vers le passé, l’autre vers un hypothétique futur proche, Iron Sky fourmille au fond de résonances contemporaines. « Si vous vous penchez sur la rhétorique nazie, vous constaterez qu’un certain nombre d’idées qu’ils défendaient en Allemagne dans les années 30 sont peu ou prou les mêmes que celles de plusieurs hommes politiques aujourd’hui en Europe. Mêmes si elles sont planquées sous différentes bannières, différents courants de pensée, du moins en apparence. Mais c’est la même connerie. C’est ce qu’il y a d’effrayant avec les nazis: leur idéologie survit toujours, d’une manière ou d’une autre.  »

Anti-fasciste, citoyen, concerné… Au fond, que reproche-t-on au gros délire du Finlandais? Et d’en revenir à cette question vieille comme la vie: peut-on vraiment rire de tout, a fortiori de l’un des épisodes les plus tragiques de l’Histoire? « Ça me semble essentiel. Vraiment. Si on ne peut pas se moquer du fanatisme religieux, par exemple, alors ça signifie que la peur et la haine dominent le monde. Il faut être capable de rire même des choses les plus terribles pour pouvoir avancer.  »

DIY

Et Vuorensola, en effet, de s’en donner à coeur joie, son space opera farceur et pétaradant s’accommodant sans complexe d’un budget pourtant relativement modeste. « Je crois que le concept de nazis lunaires est en soi tellement à la masse qu’il aurait été très difficile de rassembler un gros budget, qui plus est de manière traditionnelle, pour ce film. Il fallait composer avec des moyens limités, même si au niveau européen ça reste quand même assez conséquent: nous avons déniché 7,5 millions d’euros. Et les effets spéciaux coûtent incroyablement moins cher aujourd’hui qu’il y a même cinq ou dix ans.  »

Partisan hardcore du Do It Yourself et de l’esprit participatif, le réalisateur a notamment pu compter sur l’appui d’une communauté solide de fans de science-fiction en amont, tant au niveau financier que créatif d’ailleurs. « Arrivés à un certain point du projet, nous n’avions plus un sou. Et nous ne voyions pas comment en trouver davantage. Concrètement, nous étions parvenus à rassembler quatre millions d’euros, mais c’était insuffisant. Nous nous sommes alors tournés vers le crowdfunding. Nous avons récolté à peu près un million d’euros de cette façon, ce qui est assez énorme, et cet engouement a en fait motivé les investisseurs plus traditionnels, qui ont réinjecté deux bons millions dans le projet. J’avais déjà créé un lien fort avec toute une communauté sur le Web du temps de mon premier long métrage, Star Wreck: In the Pirkinning, et nous avons donc naturellement fait appel à eux, je parle ici d’un bon millier de personnes, pour nous aider à trouver de bonnes idées narratives ou visuelles. Nous avons alors sorti une espèce de trailer-test, une démo destinée à montrer vers quoi on se dirigeait, et on a continué à avancer dans le projet en collaboration avec tous ces gens qui nous suivaient. Quand nous avons manqué d’argent, ils ont d’emblée porté notre campagne de collecte de fonds.  »

De quoi légitimement se payer quelques belles séquences de combat dans l’espace, rêve de gosse devenu réalité. « Il n’y a pas assez de batailles spatiales dans les films aujourd’hui. Pourtant, ce n’est pas si lourd à mettre en place. Le fait d’avoir un budget très limité vous force à être plus créatif, à prendre les bonnes décisions. C’est à se demander d’ailleurs ce qu’un George Lucas peut bien faire avec les sommes astronomiques qui sont allouées à ses productions! Vraiment, je serais curieux de savoir. » George, si tu nous lis…

TEXTE Nicolas Clément

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