TEA FOR THREE – En Inde, Wes Anderson accompagne une drôle d’épopée familiale ferroviaire. Et signe un film euphorisant, modèle d’inventivité et d’excentricité.

De Wes Anderson. Avec Adrien Brody, Owen Wilson, Jason Schwartzman. Musique: Randall Poster. 1 h 47. En salles.

Cultivant un sens aigu de l’excentricité, doublé d’un penchant immodéré pour l’humour absurde, Wes Anderson construit depuis une dizaine d’années une filmographie hautement atypique. Adoubé dès Rushmore, son second film, par ses pairs, Martin Scorsese en tête, le cinéaste américain n’a en effet cessé ensuite de ciseler une oeuvre à nulle autre pareille. Identifiable au premier coup d’£il, son univers inventif, décalé et hautement référencé, évoque celui d’un miniaturiste. Mais s’il a incontestablement le chic pour le détail qui fait sens (ou non, au demeurant), Anderson ne l’a pas moins pour aller dénicher l’humanité jusque dans les recoins les plus incongrus de l’âme, ce qui fait aussi tout le prix de ses créations, des Royal Tenenbaums à The Life Aquatic with Steve Zissou.

The Darjeeling Limited ne déroge pas à la règle, film qui, comme ses précédents, tourne par ailleurs autour de la famille. Soit, en l’occurrence, les Whitman, trois frères aisés qui, après la mort de leur père, embarquent à bord d’un train indien, le Darjeeling Limited, pour une improbable épopée en quête de spiritualité, en même temps qu’ils se mettent en devoir de se retrouver et de retrouver leur mère, retirée dans un monastère himalayen. Entre Francis, Peter et Jack, qui affichent mollement leur superbe, mais trimballent plus encore spleen et blessures mal cicatrisées, la cohabitation ferroviaire s’avère rapidement problématique, les kharmas grandement divergents. D’imprévus loufoques en accidents, tragiques ou non, le voyage change d’âme, tout en gardant étrangement le cap, suivant une logique que l’on qualifiera d’oblique.

DOUCE EUPHORIE

Du court métrage en suspension ouvrant le film au plan-séquence étourdissant qui compartimente les personnages secondaires en même temps qu’il ponctue leurs histoires, on tenterait sans succès de faire l’inventaire des magnificences de The Darjeeling Limited, tant voilà un film appelant la dithyrambe, émaillé qu’il est encore de gags insensés comme de trouvailles stupéfiantes. Sans oublier un art consommé de la référence finaude, de Satyajit Ray à Michael Powell, et autres clins d’£il savoureux – ainsi de Barbet Schroeder en mécanicien. Et, last but not least, une distribution d’anthologie, avec le trio joliment mal assorti que composent Adrien Brody, Jason Schwartzman et Owen Wilson, mais encore les habituels Anjelica Huston et Bill Murray, ce dernier pour une (double) scène inoubliable.

Autant dire que s’il se présente comme une oeuvre circulaire, débutant dans un palace parisien au son de Where Do You Go to (My Lovely), de Peter Sarstedt, pour se clôturer sur les Champs-Elysées, chantés par Joe Dassin, The Darjeeling Limited s’avère au final le plus enivrant des voyages. Pas seulement vers une Inde de carte postale – même si, omniprésente, elle irrigue le film, tout en en contaminant subtilement l’esprit – que vers des rivages où l’imagination règne sans partage. De la combinaison de ces éléments découle une expérience, si pas spirituelle, en tout cas absolument euphorisante. Un extraordinaire moment de cinéma, à tout le moins, trouvant au-delà de sa virtuosité les accents d’une profonde… fraternité.

www.aborddudarjeelinglimited-lefilm.com

retrouvez louis danvers sur la première de la rtbf. chaque mercredi, entre 12 et 13 heures, louis danvers commente les sorties cinéma et l’actualité culturelle dans « culture club », l’émission de corinne boulangier et eric russon.

JEAN-FRANçOIS PLUIJGERS

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