Létale séduction – L’infinie noirceur de The Chaser n’a d’égale que sa ferveur pour le genre. Ha Hong-Jin s’impose avec un premier film stupéfiant.
De Na Hong-Jin, avec Kim Yoon-Seok, Ha Jeong-Woo, Yeong-Hie Seo. 2 h 03. Sortie: 06/05.
Le cinéma coréen ne cesse de nous surprendre, et de nous épater! Na Hong-Jin en est la dernière révélation. Ce jeune cinéaste au talent très prometteur a emprunté, pour se faire connaître, la voie du film de genre. Une voie très fréquentée, dans laquelle il n’est pas (plus) aisé de marquer sa différence. Pourtant, The Chaser ( Chugyeogja) se signale tellement par son originalité qu’il a eu, l’an dernier, les honneurs d’une sélection officielle (hors compétition) au Festival de Cannes. Et qu’il vient de remporter le prix du meilleur thriller au Bifff. Le film prend pour personnage principal un ancien policier reconverti dans le proxénétisme. Un antihéros peu sympathique, exigeant avec « ses » filles et s’érigeant en protecteur violent lorsqu’un client plus pervers ou éméché qu’un autre sort des convenances propres à la profession. Inquiet de la disparition d’une des prostituées qu’il emploie, il le sera plus encore lorsqu’on perd la trace d’une autre de ses « protégées », qu’il a envoyé au travail alors qu’elle était malade, laissant son jeune enfant seul chez elle… Rapidement, on comprend que les jeunes femmes sont victimes d’un cruel psychopathe. Très vite, aussi, celui-ci nous est connu. Le film, pourtant ne fait que commencer, et il nous mènera loin, très loin.
Un sommet du genre
Un peu comme le faisait en 1986 le terrifiant The Hitcher avec Rutger Hauer, The Chaser ne souffre pas de cette révélation précoce. Il s’en nourrit tout au contraire, surtout quand le serial killer se verra pris et incarcéré, à un point du récit où l’on devine qu’il va recouvrer sa liberté pour semer plus de souffrance encore. La tension qui naît de ce jeu augmente à mesure que les efforts du proxénète se font de plus en plus désespérés. Comment retrouver à temps la dernière victime (que nous savons vivante)? Comment se faire des alliés d’anciens collègues peu ou pas motivés ? La quête de Joong-Ho (1) se complique en même temps qu’elle progresse, en même temps qu’elle humanise le personnage jusqu’à le rendre fortement émouvant. L’acteur Kim Yoon-Seok signe une performance captivante, devant la caméra d’un Na Hong-Jin maîtrisant à merveille le montage parallèle, façon Silence Of The Lambs. Le jeune réalisateur ajoutant au sens de l’action brutale et du suspense à se ronger les ongles un humour d’une noirceur extrême, et une vision satirique désespérante de la société coréenne. L’inefficacité crasse des forces de l’ordre, la lâche duplicité d’un (ir)responsable politique, sont ainsi épinglées avec férocité dans un thriller plaçant le spectateur dans une position de voyeur impuissant, heurtant son désir de voir la vie triompher de la mort combattu par une réalité sans issue.
Le thriller nihiliste trouve un nouveau sommet avec The Chaser, une £uvre remarquable que ses scènes les plus éprouvantes devraient éloigner des yeux les plus impressionnables, mais qui exercera durablement sur les autres sa sombre séduction.
(1) En probable clin d’£il, le prénom à une lettre près de Bong Joon-Ho, le réalisateur lui aussi coréen des formidables The Host et Memories Of Murder…
Louis Danvers
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