Têtue Janie Mae

© Carl Van Vechten

Dans ce roman culte de 1937, Zora Neale Hurston dote son héroïne d’un libre arbitre rayonnant et salutaire et nous acquiert à sa cause.

Il est des injustices dans l’Histoire littéraire. Considérée comme écrivain de premier plan aux États-Unis, célébrée par des figures symboliques fortes comme Maya Angelou et Toni Morrison, Zora Neale Hurston a pour l’instant peu marqué de son empreinte les pays non-anglophones. Seuls Zulma ( Spunk), le Castor-Astral ( Une femme noire, titre précédemment choisi pour Their Eyes Were Watching God) et les éditions de l’Aube (reprenant les précédents et y ajoutant un recueil et Des pas dans la poussière, récit autobiographique) ont jusque-là tenté de faire découvrir sa voix singulière au public francophone, par l’intermédiaire de la traductrice Françoise Brodsky.

Qui était donc Zora Neale Hurston? Une fillette née en Alabama en 1891,  » prompte à la réplique« . Une étudiante arrivée par aubaine à la Howard University à Washington (non-sectaire dès sa création) où l’écriture prendra racine et où une conscience de soi et de la légitimité de l’identité afro-américaine pourront croître. Les fondations d’Harlem Renaissance et de la revue Fire!! (dont Hurston fut co-créatrice avec Langston Hughes) sont là. Intégrée au Barnard College comme première étudiante de couleur en 1925, elle découvre l’anthropologie, à laquelle elle dédiera une partie de sa vie, seulement ralentie par la Grande Dépression. Entre deux voyages de terrain consacrés au folklore noir est publié ce second roman qui sera redécouvert par la militante féministe Alice Walker à la faveur des mouvements pour les droits civiques.

Têtue Janie Mae

Faire front

 » C’était le moment de s’asseoir sur les vérandas sur le bord de la route. C’était le moment d’écouter ce qui vient et de parler. » Malgré la pression sociale qui débute sur le seuil de chaque maison d’Eatonville, Jeanie Mae Crawford est une héroïne qui ne s’en laissera conter ni par sa grand-mère, prompte à la marier dès qu’un garçon rôdera de trop près, ni par les trois hommes (le fermier, le puissant, l’amoureux) qui partageront tour à tour son destin. Attachante et opiniâtre, elle subit dans un premier temps candidement les sorts (l’ennui, les aléas du pouvoir, le mépris de classe et le sexisme) qui lui incombent avant de faire front avec panache. Plus proche de la Nola Darling de Spike Lee (mais avec 50 ans d’avance!) que d’une Emma Bovary afro-américaine, elle est de plus en plus convaincue qu’il y a mieux à attendre de la vie, qu’elle trouvera quelqu’un à qui déballer  » des choses empaquetées et rangées dans des recoins de son coeur« .

Une version neuve de ce roman émancipateur arrive à point nommé dans cette période qui accorde enfin davantage d’importance à la diversité des voix. Sika Fakambi (pour qui  » toute traduction est politique« ) parvient à rendre avec inventivité le flux vibrant de la langue d’Hurston, sa grammaire qui titube dans les dialogues (comme la vie), sa vivacité irradiante. Ô combien il est réjouissant aujourd’hui de redécouvrir une auteure et un personnage féminin résolument modernes!

Mais leurs yeux dardaient sur Dieu

De Zora Neale Hurston, éditions Zulma, traduit de l’anglais (États-Unis) par Sika Fakambi, 320 pages.

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