ULRICH SEIDL ACHÈVE SA TRILOGIE « PARADISIAQUE » SUR UN MODE AMBIGU, ENTRE IRONIE ET TENDRESSE.

Paradies: Liebe (« Amour », un film grinçant et secouant revisitant les rapports nord-sud à la lumière du tourisme sexuel), Paradies: Glaube (« Foi », une exploration féroce et sulfureuse de la dévotion dans ses manifestations les plus extrêmes), Paradies: Hoffnung (« Espoir », plongée dans le quotidien d’un centre de régime pour jeunes souffrant d’obésité): la trilogie autrichienne consacrée au Paradis aura marqué son époque. Présenté dans les trois principaux festivals mondiaux (le premier film à Cannes, le deuxième à Venise, le troisième à Berlin), cet ensemble est consacré à l’inaccessibilité desrêves personnels dans une époque où la nature même de ces rêves en prend pour son grade. Comme toujours, son auteur, Ulrich Seidl, porte un regard sardonique sur ses contemporains, sur la société et ses dérives de tous ordres. Mais est-ce le fait que son héroïne est cette fois une adolescente? Toujours est-il qu’on trouve dans le dernier volet du triptyque une certaine tendresse sporadique, une émotion presque positive révélant finalement la logique d’un auteur qui a pris son temps pour décider de l’ordre dans lequel il présenterait les trois films, et avoue qu’en terminant par Paradies: Hoffnung, il n’a pas voulu chasser toute idée d’espoir… « L’ordre s’est décidé tardivement dans le processus, explique le cinéaste autrichien, quand un projet prend quatre ans et demi comme c’est le cas pour celui-ci, tant de choses évoluent qu’on ne reconnaît parfois plus ce qu’on avait en tête au tout début. » Le réalisateur n’envisageait d’ailleurs au départ qu’un film unique! Quand il comprit que ce serait trop complexe et bien trop long, il ne dévia pas pour autant de son exigence de « tourner chacun des trois films de manière si complète, avec des scènes qui se répondent avec tellement de précision, que l’ensemble pourrait, s’il le fallait, ne faire qu’un seul film! Au montage, on a tout essayé pour y parvenir, mais c’était infaisable, la tension à laquelle le spectateur aurait été soumis n’aurait pas été supportable. Il y avait comme une résistance organique du matériau filmé à ma volonté de metteur en scène… »

Discours de la méthode

La manière dont l’auteur de la trilogie travaille est soumise à un certain nombre de règles constituant « la méthode Seidl »: « Tourner une fiction comme on le ferait d’un documentaire, ne pas établir de script au sens traditionnel mais plutôt une succession de scènes décrites sans le moindre dialogue, mélanger acteurs et non-acteurs sans qu’on puisse dire qui est qui, leur faire improviser les dialogues devant la caméra, tourner dans l’ordre chronologique, n’utiliser que des décors naturels, n’employer que de la musique de source, insérer des « tableaux » où les interprètes regardent directement vers la caméra. » L’importance de sortir les trois volets de Paradies en l’espace d’une année seulement répondait à « une volonté de s’adresser à un spectateur qui aurait encore clairement en mémoire les épisodes précédents« . Interrogé sur les raisons qui l’ont amené à conclure la trilogie sur Hoffnung (« Espoir »), Ulrich Seidl déclare que « cela résulte d’une suite d’essais et d’erreurs« . Il reconnaît que le film est, des trois, le plus doux, le moins provoquant, à l’inverse de Glaube (« Foi »), l’épisode religieux, qui tint longtemps la corde pour sortir en dernier mais « qui confronte le spectateur à quelque chose de plus dur, de plus difficile à supporter« … C’est donc au public que Seidl a pensé quand il a décidé d’achever la trilogie par « le film le plus facile à regarder« , tranchant avec l’image d’artiste farouchement rebelle au confort du public qu’on a peut-être un peu rapidement voulu lui imposer.

C’est encore le spectateur qu’il a en tête quand il place la réalité au premier plan de ses préoccupations de cinéaste: « Mes films sont des fictions, mais inscrites dans le réel, que je trouve passionnant à observer, à explorer. Le résultat est tellement plus riche que si je me contentais de filmer le fruit de ma seule imagination. Tellement plus riche aussi pour le public qui ressent la différence avec un film où tout est simplement inventé! » Les projets d’Ulrich Seidl? Une fois de plus surprenants, avec en tête un film « sur les rapports entre les Autrichiens et leurs caves. Les hommes en Autriche semblent préférer passer leur temps au sous-sol, dans des caves souvent plus et mieux meublées que les salles de séjour de leurs maisons. Les caves étant aussi des lieux privilégiés en matière de secrets, de double vie et même de crimes… »

RENCONTRE LOUIS DANVERS, À BERLIN

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