UNE NOUVELLE FOIS FORMIDABLE DANS NI LE CIEL NI LA TERRE, JÉRÉMIE RENIER CONFIRME UNE STATURE EXCEPTIONNELLE.

Rarement comédien aura, comme Jérémie Renier, développé à ce point son potentiel « à vue », devant des caméras révélant, film après film, les facettes de plus en plus nombreuses de son talent peu banal. L’adolescent timide que révélaient les Dardenne dans La Promesse a fait place à un homme et à un acteur confirmé, doté d’une pure présence stupéfiante et d’un registre étendu, les deux s’exprimant avec une force extraordinaire dans l’excellent premier film de Clément Cogitore Ni le ciel ni la terre. Il y incarne un officier français en poste en Afghanistan, un personnage qu’il a fallu préparer soigneusement pour avoir les gestes justes du métier.

« J’avais déjà, un peu avant, fait un film de Sarah Leonor (Le Grand Homme, NDLR) qui parlait de la réinsertion d’ex-soldats de la Légion étrangère, explique l’acteur. Une première approche du métier de militaire, pour laquelle j’avais reçu une courte mais intense formation avec des instructeurs. Du coup, j’avais une petite base, déjà. Pour le tournage de Ni le ciel ni la terre, qui allait se dérouler dans les montagnes de l’Atlas marocain, dans des conditions éprouvantes, physiquement parlant, nous nous sommes préparés en groupe, afin aussi de faire corps, de donner au réalisateur cette vérité qu’il voulait chercher en nous. » Un ex-para et un ancien légionnaire iranien figurant dans la distribution tout en étant aussi conseillers militaires, la justesse visée pouvait être atteinte. Mais l’enjeu principal, pour Renier, était d’incarner le chef, le capitaine. « Pour qu’on y croie, il fallait d’abord que j’y croie, moi. Alors j’ai eu l’idée, avec Clément Cogitore, que tous les acteurs, même en dehors du plateau, m’appellent Capitaine. Moi, je les appelais tous par leur nom de personnage, et le mélange d’autorité, de côté paternel, est venu naturellement. On faisait du sport ensemble et je les motivais, quand l’un d’entre eux avait un souci par rapport au tournage, il venait m’en parler et j’allais ensuite faire mon rapport au réalisateur. C’était ma section, nous faisions corps tout le temps. Pour moi, c’était primordial! »

« Ni le ciel ni la terre est un film sur la croyance, commente le comédien belge, sur la croyance au sens large, pas limitée à la religion mais à tous points de vue. Le visible et l’invisible, la nature de l’autre, ennemi ou pas, le mythe et la réalité. » Jérémie Renier respire le bonheur rétrospectif d’avoir pu entrer dans « l’univers d’un grand cinéaste en devenir, un artiste visionnaire ».

Perdre pied

Fascinante est la manière avec laquelle il épouse et exprime le « perdre pied », le vertige existentiel (« Qui sommes-nous vraiment? Et que faisons-nous là? »), métaphysique (« Qu’est-ce que la réalité? ») qu’a voulu filmer un jeune réalisateur s’inspirant directement du travail de Werner Herzog tout en apportant sa touche éminemment personnelle. Le film de Cogitore marquera, c’est sûr, la trajectoire en constant développement d’un acteur bien dans sa peau et aussi bien dans son âge: « Tout être humain alterne les moments où il est en accord avec lui-même et les moments de déséquilibre, où il se recherche. Mais forcément, avec l’âge, on se pose davantage, on prend du poids et de l’expérience. Mon métier est un métier particulier, qui demande une grande dépense d’énergie, beaucoup d’attente, de projection vers un résultat tout sauf certain. En vieillissant (l’acteur aura 35 ans en janvier prochain, NDLR), je n’ai plus la même fougue, le même désir de bouffer tous les rôles, de faire toutes les expériences possibles et imaginables. Me transformer reste quelque chose d’excitant, mais je suis désormais et de plus en plus dans la vérité. La vérité des choses, la vérité des rencontres. C’est drôle parce que dans mon travail d’acteur, je fais tout pour être autre chose que ce que je suis, et en même temps il me faut aller au plus vrai de qui je suis… » Et Renier de conclure: « En fait, j’ai toujours voulu être plus vieux que l’âge que j’avais! Très jeune déjà, quand je tournais des petits films (surtout des films policiers) avec des potes, en utilisant le caméscope de mon père, je me sentais frustré parce que nous étions des enfants, pas des adultes, et qu’en regardant les images, on ne pouvait pas y croire, malgré les fausses barbes et tout ça… Je n’avais qu’une envie: vieillir vite, devenir adulte et refaire la même chose, et qu’on y croie! »

RENCONTRE Louis Danvers

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