DE MARTIN SCORSESE. AVEC ROBERT DE NIRO, JODIE FOSTER, CYBILL SHEPERD. 1 H 54. 1976.

Cinquième long métrage de Martin Scorsese, Taxi Driver occupe une place de choix dans le paysage saturé de chefs-d’£uvre du cinéma américain des années 70. Le réalisateur y suit la dérive de Travis Bickle (Robert De Niro), ex-Marine revenu du Vietnam et de presque tout dans la foulée, et qui, pour lutter contre ses insomnies et ruminer le dégoût que lui inspire la société, devient taximan de nuit à New York.

Porté par la musique de Bernard Herrmann, tour à tour crispante ou coulante, le film s’ouvre tel un curieux ballet nocturne, vision irréelle de l’animation de Times Square. Plus que d’un rêve, c’est toutefois de cauchemar qu’il est question, à mesure que Travis s’enfonce dans la paranoïa, aiguillé par le spectacle qu’il observe depuis son taxi, et par l’échec de la relation qu’il avait esquissée avec Betsy (Cybill Sheperd), conseillère d’un candidat à la présidence. Bientôt armé jusqu’aux dents, l’homme se croit investi d’une mission -nettoyer la lie de New York à défaut, dans un premier temps, de celle de l’humanité-, sentiment accru lorsque sa route croise celle d’Iris (Jodie Foster), prostituée mineure battant le pavé de l’East Village, pour le compte d’un mac à donner froid dans le dos (Harvey Keitel).

L’ange exterminateur

Sur un scénario acéré de Paul Schrader, Martin Scorsese signe un film en forme de plongée dans le monde de la nuit balayée de feux de signalisation bloqués à l’orange. Le New York que donne à voir le réalisateur est explosif; il débouche, fatalement pour ainsi dire, sur un concentré de paranoïa urbaine et de violence dont Travis Bickle n’est d’ailleurs pas le dépositaire exclusif; voir ainsi la scène, mémorable, où, du fond de son taxi, Scorsese lui-même lui désigne une fenêtre – « That’s my wife, and that’s not my apartment »-, avant d’exposer, minutieusement, le sort qu’il entend faire subir à l’épouse adultère.

En même temps que la cartographie trouble de la ville, Taxi Driver établit celle de la solitude urbaine, comme nerf tendu de la frustration et de l’aliénation. Si le film produit une impression aussi forte, au-delà même de ses nombreux moments indélébiles, c’est aussi par l’ambiguïté qui s’en dégage, et que Scorsese ne fait certes rien pour dissiper, donnant à son ange exterminateur l’apparence d’une rédemption, avant de clore son film comme en suspension. Taxi Driver laisse ainsi un goût de cendres, ou plutôt de poudre à la bouche, générant malaise autant que fascination. New York y est filmée comme jamais, au corps à corps, alors que Robert De Niro est tout bonnement phéno-ménal dans l’un de ses rôles emblématiques -difficile d’imaginer, après coup, que le film ait initialement été écrit pour Robert Mulligan, avec Jeff Bridges dans le rôle-titre. Palme d’or à Cannes en 1976, le film reste assurément comme l’une des £uvres phares de son temps, l’histoire d’un homme revenu de l’enfer vietnamien pour plonger dans un autre, américain celui-là…

J.F. PL.

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