A BIENTÔT 70 ANS, L’UN DES GÉANTS DE LA BANDE DESSINÉE S’OFFRE UNE NOUVELLE JEUNESSE EN ANIMATION. UNE UCHRONIE ROCAMBOLESQUE, STEAMPUNK ET LIGNE CLAIRE QUI L’A ÉLOIGNÉ -UN TEMPS SEULEMENT- DES CHAMPS DE BATAILLE. RENCONTRE.

Benjamin Legrand, le scénariste d’Avril et le monde truqué (lire critique page 25) insiste bien là-dessus, quelques minutes avant que son ami Jacques nous rejoigne dans cet hôtel particulier de Paris, entre Montmartre et la place des Abbesses, ce Paris qui sied tend à Tardi: « Ce film n’est pas une adaptation de l’univers de Tardi, c’est un costume sur mesure! Un scénario original, mais qui correspond parfaitement à l’univers qu’il aime bien dessiner: des décors qui vont en gros de La Commune jusqu’à la guerre de 14. L’envie, c’était ça: faire du Tardi animé, voir bouger les dessins de Jacques, correctement. » Cette envie effectivement emballante de « voir bouger les dessins » ne date pas d’aujourd’hui. Les deux amis qui se sont connus chez (A suivre) dans les années 70, et qui avaient déjà collaboré sur Tueur de cafards, album paru en 1984, y travaillent en réalité depuis près de dix ans: avant Avril, il y eut longtemps un projet de dessin animé en long métrage sur la guerre de 14, véritable pierre angulaire des thématiques chères à Tardi, d’Adieu Brindavoine, l’une de ses premières oeuvres, jusqu’à son fameux C’était la guerre des tranchées, en passant par Le Trou d’obus. Un projet ambitieux, maintes fois réécrit, abondamment crayonné, mais qui ne trouva jamais, ou en tout cas jusqu’ici, ni le financement ni le bon producteur. « Le projet s’est englué, ce fut assez difficile à vivre, confirme Tardi. J’étais un peu dégoûté avant même de réellement commencer, mais nous voulions rester dans l’animation, y essayer quelque chose -voir ses dessins bouger, c’est séduisant! Benjamin a eu alors cette idée un peu folle d’un monde figé à l’ère de la vapeur, quelque chose soudainement de plus proche du Démon des glaces(l’un des premiers albums, paru en 1974, NDLR) et bien sûr d’Adèle Blanc-Sec, qui est un peu la cousine ou la grande soeur d’Avril. Et ça m’a beaucoup amusé. »

Adèle à défaut de la Grande Guerre

On retrouve en effet dans Avril un univers amusé, feuilletonesque, rocambolesque et rétro comme Tardi les aimait tant du temps d’Adèle, mais aussi très éloigné de l’univers graphique de ses derniers albums, et en particulier de Moi, René Tardi, prisonnier au Stalag IIb, fresque biographique très ambitieuse et surtout très charbonneuse, pleine de traits, de noir et de hachures… Autant de choses interdites en animation. « Je savais que mon dessin subirait des transformations, des modifications obligatoires, liées au medium. J’avais peur bien sûr que ce soit dévoyé, mais je devais moi-même tenir compte des contraintes de simplification, trouver des solutions pour les mouvements de caméra qui ne sont pas les mêmes qu’en BD. J’ai été obligé de trouver des combines, re-réfléchir à ma manière de dessiner. Dans mes dessins par exemple, mes personnages n’ont pas de regard. C’est juste un trait, je ne ressens pas le besoin d’en faire plus. Mais ici, il fallait avoir de « vrais » yeux, qui roulent, qui bougent, qui sont expressifs. » Un travail de recherche, d’adaptation et de longue haleine qui explique cette impression étonnante d’un « Tardi ligne claire » revenant à ses premières amours que furent Hergé ou Jacobs. « Nous n’y avons jamais pensé pendant la réalisation, mais dès que vous avez un trait relativement propre, des laboratoires, des savants fous et un peu d’aventure, forcément, on y revient. »

Epuisé mais content du résultat, Jacques Tardi, toujours accompagné de Benjamin Legrand, ne rechignerait en tout cas pas à remettre ça, même s’il était heureux, pendant la production d’Avril, de revenir à ses planches -« Quand on dessine, on contrôle tout, ça ne passe pas par d’autres mains, on fait exploser ou dérailler tout ce qu’on veut pour pas un rond« : « Il faudra voir l’accueil que le public réserve à Avril. Mais on a des pistes pour continuer. » Dont ce grand projet autour de la Première Guerre mondiale, que Tardi ne semble pas décidé à abandonner.

RENCONTRE Olivier Van Vaerenbergh, À Paris

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