Survivante

© Murdo Macleod

Edna O’Brien fait résonner urgemment le monologue d’une adolescente nigériane enlevée par Boko Haram, entre culpabilité indélébile et âpre résilience.

Dans une ville du Nigéria, c’est l’insurrection. Dans un lycée, débarque un commando armé qui a trompé la vigilance des soldats venus protéger l’établissement. Sous la menace, les hommes ennemis cherchent les dépôts, le ciment ou de quoi grossir les troupes mais se rabattent sur un groupe d’adolescentes, qui pourront faire office de monnaie d’échange, de divertissement jetable ou de moyen de pression sur la population. Parmi elles, Maryam, qui prend ces évènements terribles à bras-la-langue. Elle entame le récit de son enlèvement par la Secte par ces mots, signe que l’innocence n’a plus sa place ici:  » J’étais une fille autrefois, c’est fini. Je pue. »

Créant des brèches dans la litanie de l’horreur (celle des sévices corporels, des viols à répétition, de la lapidation d’une femme adultère, de la sidération qui rend la narratrice muette, tout comme ses compagnes d’infortune), les signes de la vie d’avant à jamais dissoute sont d’autant plus poignants: les dancings champêtres pour lesquels certaines faisaient le mur; la couleur et la texture des pots en céramique que créait Binta, jamais rentrée du marché. Les dirigeants de la Secte décident de livrer Maryam à un combattant, Mahmoud, mais le répit accordé par la sensibilité du jeune homme est de courte durée: il rentre d’un raid estropié et perdu pour la cause commune, tandis que sa jeune épouse, enceinte, finit par accoucher d’une petite fille, Babby, davantage une honte qu’une bénédiction. Dissimulé sous son pagne, reste toutefois à l’adolescente de l’argent confié par celui qui fut à peine son mari. Avec Buki, ancienne camarade de classe, et ce bébé né au milieu des cendres, elle profite d’un moment plus chaotique pour prendre la fuite, pétrie par la crainte d’être reprise. Le chemin vers la liberté est encore long…

Survivante

Destin brisé

Après Les Petites Chaises rouges (où une épouse irlandaise succombait au charme d’un génocidaire sous couverture, inspiré de Radovan Karadzic) ou Dans la forêt (tirant sa source dans un fait divers meurtrier qui pétrifia le comté de Clare), Edna O’Brien puise à nouveau dans le réel pour désosser le Mal et l’exposer dans sa crudité. L’autrice irlandaise trouve une puissance d’évocation décuplée dans ce nouveau territoire littéraire, plus grevé encore par la violence que sa terre natale. Marqué jusqu’au sang du motif du destin biaisé et brisé des jeunes filles, comme l’était déjà Tu ne tueras point, Girl est un roman d’apprentissage poussé à son extrême. Le retour chez soi y est impossible, tant la disparition des êtres chers (lycéennes mais aussi ceux mettant tout en oeuvre pour les retrouver, comme Youssouf, le frère de Maryam) crée des béances impossibles à combler au sein des familles. En parallèle de ces générations marquées par la culpabilité, ou des suivantes, issues de viols (comme Babby), on songe aussi au legs douloureux des femmes du Sud-Kivu, preuve qu’Edna O’Brien parvient, une fois encore, à toucher de façon bouleversante à un universel.

Girl

D’Edna O’Brien, éditions Sabine Wespieser, traduit de l’anglais (Irlande) par Aude de Saint-Loup et Pierre-Emmanuel Dauzat, 256 pages.

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