Avec Compass, le soulman blanc laisse tomber la pose et le masque. Et signe du coup son meilleur album. A voir aux Nuits Bota.

Dans l’un des mini-films qui accompagnent la sortie de Compass, une photo montre Jamie Lidell au côté du grand Quincy Jones. « C’était au festival de Montreux. Il fêtait son anniversaire. Donc il était un peu… comment dire… disons qu’il était de très bonne humeur! Quand je suis passé près de lui, il m’a agrippé et a commencé à me parler de plein de trucs. Il était absolument charmant, très chaleureux, mais la situation avait quand même quelque chose de légèrement embarrassant. «  Mais pas moins symbolique: le monument du jazz, producteur légendaire de Michael Jackson, qui adoube le soulman blanc. Quelque part, l’Anglais venait ainsi d’achever définitivement sa mue. Il pouvait passer à autre chose. A moins qu’il n’ait juste trouvé le moyen d’être lui-même. C’est ce que raconte Compass.

Great expectations

Rappel des faits. Au départ, l’Anglais Jamie Lidell (1973, Huntingdon, sud-est de l’Angleterre) fait dans le bidouillage électro-funk. Il traîne à ce moment-là du côté de Berlin et forme avec Cristian Vogel le projet Super Collider. Pointu, touffu, tordu, mais (presque) toujours dansant. Sur scène, Lidell crée ses morceaux en direct, longues impros où il ajoute couche sur couche.

En 2005, il laisse cependant tomber son costume de Prince blanc mutant. Il est toujours blanc, mais cette fois-ci, il surprend tout le monde en se transformant en Stevie Wonder. Un an avant le Back To Black d’Amy Winehouse, Multiply se branche sur la soul vintage. Lidell écrit court, soul et pop à la fois. Les références à la Motown ou au label Stax sont partout présentes. Elles donneront encore le ton du disque suivant, Jim (2008). Coloré, exubérant, l’album quitte joyeusement et définitivement les rives de l’alternatif. Avec une idée derrière la tête: même si, à l’époque, il ne le dira jamais tout à fait clairement, c’est bien le grand public que vise Lidell. Au bout du compte, Jim reçoit pas mal d’échos positifs, se vend raisonnablement mais sans jamais exploser le plafond des essais précédents. Aujourd’hui, Lidell concède avec une franchise déconcertante: « Je voulais faire des chansons pop. En sachant qu’elles étaient destinées à un certain endroit. Je me rends compte aujourd’hui que je voulais voir si j’étais capable de pondre des tubes. In fine, cela a bien marché ici, en France aussi ou aux Pays-Bas. Et j’ai amassé plein de super souvenirs, tout était superbe. Mais j’avais quelque chose de précis en tête pour ce disque.. . En fait, chaque fois que j’ai fait ça dans ma vie, il y a eu un problème. Se projeter dans le futur est stupide. Si vous n’atteignez pas ce dont vous rêviez -ce qui est naturellement une probabilité, à partir du moment où vous ne maîtrisez pas tout-, vous allez déguster. De même, si vous atteignez votre objectif, vous risquez fort de voir votre cou enfler. Donc imaginer le futur, en attendre des résultats précis, ce n’est peut-être pas la manière la plus intelligente de vivre… « 

A nu

Deux ans plus tard, Lidell est déjà de retour. Dès le premier titre, Compass remet une nouvelle fois tout en cause. Et permet à Lidell de signer ce qui ressemble fort à son meilleur album jusqu’ici.

On a toujours aimé les disques du bonhomme, les accents rauques de sa voix, sa manière d’assumer son virage soul -vintage mais jamais parodique. Il est ainsi à peu près impossible d’écouter Multiply ou Jim sans taper du pied ou hocher la tête. A chaque fois pourtant, les efforts de Lidell se sont avérés frustrants. Comme si, au bout de quelques écoutes, les chansons se refermaient sur elles-mêmes, n’ayant plus rien d’autre à offrir qu’une figure de style à la Joe Tex ou à la Sam Cooke.

Fuyantes? Un peu comme Lidell en interview, qui, comme une anguille, se débrouille souvent pour répondre aux questions sans vraiment se dévoiler. On lui fait remarquer au début de la conversation. Il sourit: « OK, je vais essayer d’être plus clair cette fois-ci. «  Ce qui ressemble exactement au parti pris de Compass… Ça, par contre, on ne lui fait pas remarquer. En fait, au milieu de l’interview, il le glisse de lui-même.  » Avec ce disque, je voulais être plus honnête. Pas que j’ai menti auparavant. Mais celui-ci est plus transparent. En ligne directe avec mon esprit.  »

Jamie Lidell a donc décidé de se laisser aller, de lever le frein à main. Musicalement, Compass ne se braque plus seulement sur la fixette soul. Il brasse toutes les envies de Lidell: funk, folk, électro… « Aujourd’hui, j’ai l’impression que tout se met en place pour moi. J’ai appelé ce disque Compass parce que quelque part je me sens à la maison, au milieu de tous ces différents genres. Je ne me sens pas perdu. Ou confus. Je peux tout assumer, tout embrasser sans être embarrassé. « 

Pour cela, Lidell a pu compter sur l’aide de Beck. C’est lui, expert en camouflage en tous genres, capable de passer d’un disque folk à un essai funk, qui va donner en fait l’impulsion de départ. « Il m’a appelé alors que je venais à peine de terminer la tournée. Je venais de m’installer à New York. Je voulais profiter un peu de la ville et ne pas refaire directement un nouveau disque. Mais quand Beck vous téléphone pour vous proposer de bosser avec lui, c’est difficile de refuser. «  En 3 jours, 3 morceaux complets sont mis en boîte: Lidell hallucine. Lui qui « prend des plombes » pour coucher une chanson se remet en question (plus tard, il participera au Record Club de Beck, réunion informelle de musiciens qui se donnent pour objectif de réenregistrer un album en un jour).

C’est décidé: la prochaine fois qu’il rentrera en studio avec Beck, Lidell ne viendra pas les mains vides. Pendant un mois, il se forcera ainsi à écrire une chanson par jour. Les bases de Compass sont jetées. Elles seront retravaillées en studio, toujours avec Beck, pouvant compter sur les collaborations du batteur James Gadson (Bill Withers, Quincy Jones…), de Feist, Nikki Costa… avant d’être débroussaillées avec l’aide de Chris Taylor (Grizzly Bear).

Journal intime

Du monde donc pour un album qui est pourtant le plus intime et le plus personnel que Jamie Lidell ait pu pondre. Tout le chaos des 2 années précédentes s’y retrouve, explique-t-il ainsi. « J’avais beaucoup d’histoires à raconter, d’expériences à relater, des émotions compliquées à retranscrire. A l’époque de Jim , je suis passé par pas mal de changement dans mes relations, des ruptures assez brutales… La matière était abondante (sourire). Pour une fois, j’avais tout noté. Ma mémoire n’étant pas très bonne, je pouvais me replonger plus facilement dans ce que j’avais vécu: parfois de la colère, parfois du désespoir, du désir aussi ou de la joie… Au final, d’un point de vue émotionnel, ce disque est un grand chaos. D’une certaine manière, c’est un regard assez honnête dans mon journal intime. « 

Compass, le titre, est ainsi une ballade déchirante. Ce qui ne veut pas dire que Compass, l’album, soit un disque déprimé, loin de là. Il respire par contre la générosité et la sincérité (oui, oui, on peut aussi entendre cela dans une musique). D’ailleurs, ce n’est évidemment pas un hasard s’il débute aussi par un morceau intitulé Completely Exposed « Cela sonne presque comme une chanson d’INXS (rires ). Il s’agit de s’ouvrir dans la vie, de ne pas être comme un livre fermé. Cela demande parfois du courage. Mais masquer les choses, arrondir les angles, essayer de paraître cool… tout cela demande beaucoup d’énergie. Beaucoup plus qu’en essayant d’être honnête. «  l

u Jamie Lidell, Compass, Warp. zzzzz

u En concert le 17/05, aux Nuits Bota, Bruxelles; et le 8/07, aux Ardentes,

Liège.

Entretien Laurent Hoebrechts

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