SÉBASTIEN LIFSHITZ FAIT TÉMOIGNER DES GAYS ET LESBIENNES ÂGÉS, ÉPANOUIS, DANS UN DOCUMENTAIRE À LA FOIS DRÔLE, ÉMOUVANT ET LUMINEUX.

Ses premiers longs métrages (Les Corps ouverts, Presque rien, La Traversée, Wild Side et Plein Sud) ont signalé le talent du cinéaste parisien, son audace tranquille et sa sensualité dans l’approche de sujets où la jeunesse et l’identité sexuelle s’offrent souvent en riches variations, mélancoliques ou éruptives, fusionnelles ou confuses. Avec Les Invisibles, Sébastien Lifshitz signe sans doute son plus beau film à ce jour. Ce documentaire faisant témoigner des homosexuel(le)s d’âge mûr lui a été inspiré par… sa curiosité pour les photos de famille.

« Ce film est né un peu par hasard, d’une drôle de manière, explique le réalisateur. Je collectionne la photographie amateure, depuis très longtemps. J’adore la photo anonyme, la photo de famille. Un jour que j’étais aux Puces, je tombe sur un album des années 50, des photos de deux vieilles dames à l’allure très bourgeoise, très conservatrice, très « vieille France »… J’ai très vite une sorte d’intuition, devant l’aspect étrange de ces photos où il était difficile de percer la nature des rapports entre ces deux femmes. Etaient-ce deux soeurs, deux amies, deux amantes? Alors je demande au vendeur s’il a d’autres albums… et il m’en sort dix! Je les achète tous. Et rentré chez moi, je fais une petite enquête à travers toutes ces photos, et j’arrive à la conclusion qu’il s’agit en fait d’un couple. Ça m’intrigue, car je me demande ce qui a pu pousser ces deux femmes, dans les années 50, à aller porter à développer cette pellicule, puis rechercher les tirages, alors qu’elles s’y exposaient en marge des conventions de leur milieu, de leur temps. Il leur en aura fallu, du cran, pour faire ça… Ensuite, j’ai cherché et trouvé des photos d’autres couples, datant des années 10 aux années 70, où s’affichaient des couples donnant une impression de liberté, de bonheur! Cela faisait mentir le cliché vouant les homosexuels d’alors à une vie malheureuse, sectaire, cachée, sinistre, condamnée. J’ai voulu en avoir le coeur net, vérifier l’hypothèse, faire témoigner ces homosexuels entre 65 et 90 ans qui avaient réussi à négocier, avec eux-mêmes, et avec le monde extérieur, de pouvoir vivre leur homosexualité plus ou moins bien, discrètement sans doute mais avec bonheur, épanouissement…  »

Empathie

Contactées via l’important tissu associatif gay et lesbien qui existe en France, une septantaine de personnes se sont manifestées, Lifshitz en retenant dix pour son tournage, sept d’entre elles étant présentes dans le montage final. Les invisibles du titre sont sortis de l’ombre pour « raconter et transmettre« , sous le regard émerveillé, solidaire, de Sébastien Lifshitz. « J’espère que le film crée un mouvement d’empathie immédiat, déclare le cinéaste, qu’on soit ou non de ces contrées-là. J’espère qu’il se dégage une émotion, une profondeur, de cette rencontre avec des gens extrêmement sincères devant la caméra, qui s’abandonnent devant elle. C’est une mise à nu, mais qui n’est pas obscène, qui s’opère avec une certaine douceur, une certaine délicatesse…  » Une certaine distance, aussi, que l’âge permet entre autres de prendre? Le cinéaste le pense, qui a pris dans ses critères de sélection des intervenants, outre « la capacité de se raconter devant la caméra, celle de pouvoir tirer de leur expérience une certaine réflexion« . « Dépasser l’anecdote, développer une pensée, avec un regard rétrospectif et légèrement distancié, être par moments au coeur d’un récit émotionnel, et à d’autres moments dans l’expression sinon d’une morale ou d’une philosophie, en tout cas dans une expérience qui puisse être transmise aux autres, faire sens pour chacun d’entre nous. L’histoire de l’individu s’inscrivant dans une histoire globale, générale. » Lifshitz réussit son pari, en évoquant aussi et fortement dans LesInvisibles les luttes des premiers mouvements activistes gays et lesbiens sur les brisées de mai 68, ces actions et manifestations prenant des allures festives, joyeuses.

« Il y avait le plaisir du collectif, d’être ensemble et de se montrer ensemble pour la première fois, en utilisant l’irrévérence, l’insolence, l’arme de l’humour, pour déstabiliser les autres. Une manière de mener dans la joie un combat exigeant pour chacun et chacune sa place au soleil. Sous le soleil exactement, comme dirait l’autre… « 

RENCONTRE LOUIS DANVERS

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