Et le couple, comment il va en 2016? Est-il l’ultime refuge où s’abriter contre la furie du monde? Ou un lieu poreux aux tensions extérieures, quand il ne sécrète pas lui-même ses propres poisons? Si l’on en juge par le baromètre de la fiction, ce n’est pas vraiment la paix dans les ménages. Plutôt un souci à ajouter à la longue liste des tracas de l’homme et la femme modernes. Même si l’on sait que les mauvaises nouvelles font plus de bruit et de meilleures histoires que les bonnes, le bilan de santé conjugal montre de solides carences affectives qui vont bien au-delà du rhume passager. Rien de nouveau depuis le dynamitage légitime de l’union sacrée il y a un demi-siècle, et c’est bien ça le problème: depuis tout ce temps, et en dépit des ouvertures à d’autres modèles de couples (homo, recomposé, etc.), aucun vaccin n’a pu être mis au point qui préviendrait un tandem, même construit sur des bases sentimentales saines, d’aller dans le mur.

Les artistes, ces vautours se repaissant de nos -donc aussi leurs- traumas, se font largement l’écho de ce malaise qui peut prendre des formes multiples. La nouvelle série télé américaine Casual chronique ainsi en mode doux-amer les ratés sentimentaux d’adultes aspirants à la stabilité, mais bien vite dépassés par leurs propres défaillances ou par les moeurs déroutantes des digital natives quand l’héroïne cède aux charmes d’un post-ado croisé sur un site de rencontres. Dans un registre voisin, le romancier Pierre Glendinning sert dans Scènes (éditions P.O.L.) une variante intello de La Guerre des roses en se postant au bord de la marmite d’un couple lettré qui se déchire mais refuse encore de se saborder. Entre coups de gueule, manipulations, rapports de force, les partenaires se frottent, s’égratignent, se malmènent comme deux fauves d’espèces différentes coincés dans la même cage.

L’étape suivante, c’est logiquement la séparation. Encore faut-il aussi réussir à négocier ce virage délicat qui a l’air d’une formalité pour ceux qui pensent avoir atteint le sommet de l’horreur, mais débouche souvent sur une nouvelle épreuve, encore plus douloureuse. Surtout quand l’argent s’en mêle comme dans l’excellent L’Économie du couple de notre compatriote Joachim Lafosse. On vous en parlait la semaine dernière, ce huis clos suffocant s’immisce dans l’intimité d’époux qui ont brûlé toutes leurs cartouches -même si lors d’une trêve l’un ou l’autre peut avoir le sentiment que les feux de l’amour ne sont pas complètement éteints- et se retrouvent du coup prisonniers d’une relation toxique et destructrice. Le tout sous les yeux des enfants, premières victimes collatérales de cette déflagration domestique.

Rien que dans la production cinématographique récente, L’Avenir de Mia Hansen-Love, Mon roi de Maïwenn ou La Disparition d’Eleanor Rigby de Ned Benson -pour n’en citer que trois-, passent pareillement le couple à la moulinette. Avec cette question lancinante: qu’est-ce qui rend la mécanique des coeurs si instable? Pas d’explication claire et limpide évidemment. Juste un faisceau de présomptions. Dans son Histoire du couple, Jean-Claude Bologne pointe les faiblesses d’un modèle coincé entre les apports en vitamines qu’il procure (éviter la solitude, favoriser la socialisation, offrir une certaine stabilité sexuelle, etc.) et son inadaptation à un environnement qui pousse au zapping et capitalise sur le court terme et la satisfaction immédiate. Tout le contraire de la patience, du sens du compromis ou même du renoncement qui sont les engrais indispensables d’une relation longue durée. « La multiplication des attentes devient dissuasive, alors que la fragilisation de l’union dissuade de se projeter dans l’avenir long, sans parler d’éternité. Tout cela, y compris le besoin d’amour et de fusion, justifie-t-il que l’on renonce à son autonomie et à l’injonction moderne de l’épanouissement personnel? »

Pour sauver cette institution en péril, on finira peut-être par adopter des mesures de préservation radicales. Comme dans The Lobster du Grec Yorgos Lanthimos, qui imagine un monde dans lequel il est interdit d’être célibataire, sous peine d’être transformé en animal de son choix. Une déclinaison de l’amour vache en quelque sorte…

PAR Laurent Raphaël

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