Somnambules d’un nouveau monde

Lorsque le graphiste et essayiste français Alexandre Laumonier crée Zones Sensibles, à Bruxelles, en 2011, ses parutions sont aussitôt accueillies avec des cris d’admiration. Une maison d’édition exigeante, belle et originale, au catalogue mêlant contre-culture, anthropologie et littérature, ici, chez nous? En un instant, Zones Sensibles devient l’enseigne la plus branchée du coin. Mais Laumonier nous réservait des surprises. Car son vrai dada est le Moyen Âge -ses idées économiques et ses expérimentations physiques tombées dans l’oubli, ses moments politiques dont l’inspiration semble s’être perdue. Il y a en effet un mystère du Moyen Âge, qui ne semble plus intéresser que les seuls érudits, alors qu’il n’est rien de ce qui nous est contemporain qui n’y trouve sa source. Somnambules du nouveau monde de l’historien anglais Chris Wickham en apporte une nouvelle preuve. Sous le couvert d’une étude aussi savante que brillante de l’émergence du concept de « commune », dans l’Italie des XIIe et XIIIe siècles, ce que Wickham décrit est rien moins qu’une construction politique inouïe, qui mettra progressivement fin à la figure du souverain total, empereur ou roi. Là où la vulgate politique fait émerger l’idée d’espace public démocratique à l’âge des Lumières, Somnambules du nouveau monde raconte le récit plus ancien des hommes et des femmes qui ont voulu constituer une nouvelle échelle politique instituant le local comme son critère essentiel. Pourquoi s’agit-il de somnambules alors? Parce que, même s’ils avaient cherché à prendre le contrôle de leur environnement immédiat, les fondateurs des premières communes n’eurent pas conscience de la machine qu’ils mirent en branle. Ils avaient voulu gérer leurs affaires eux-mêmes -et ils inaugurèrent la Renaissance. On ne peut s’empêcher d’y voir un parallèle avec la culture du local qui tente, aujourd’hui, de rééquilibrer l’économie du mondial. Ce n’est sans doute pas un hasard.

Somnambules d'un nouveau monde
© THE BRITISH ACADEMY

De Chris Wickham, éditions Zones Sensibles, traduit de l’anglais par Jacques Dalarun, 272 pages.

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