Soleil d’hiver
Vingt ans après ses débuts, l’Anglais Bonobo creuse une musique électronique subtile, tout en reluquant ici et là plus franchement la piste de danse.
À bien des égards, le succès de Bonobo est une anomalie dans le business musical actuel. En 20 ans d’activité, Simon Green a pris le temps d’élargir patiemment son audience, album après album. Basé depuis quelques années à Los Angeles, le producteur anglais originaire de Brighton, n’a jamais cherché le buzz. À l’image de sa musique, discrète, Bonobo a continué d’avancer sans tapage, peaufinant son art, entre electronica ouateuse et réminiscences trip hop. Au point même d’entraîner toute une nouvelle génération de bidouilleurs downtempo dans son sillon.
Résultat: en 2017, son sixième album, Migration, fut aussi celui qui a rencontré le plus large public -en Belgique, la tournée est passée par Forest National, tandis qu’aux États-Unis, le disque a carrément atteint le sommet du classement dance du Billboard. En l’occurrence, le titre du disque faisait déjà en partie référence aux tournées incessantes qui ont suivi les premiers succès de Black Sands (2010) et The North Borders (2013).
Avec la pandémie, Simon Green s’est toutefois retrouvé « coincé », comme tout le monde. Plus question de s’envoler aux quatre coins du globe. Alors qu’il s’était habitué à créer dans le mouvement, Bonobo a été obligé de se poser. C’est dans la nature, filant par exemple dans le désert californien, qu’il réussira cette fois à s’évader.
Danses horizontales
Juste avant que la pandémie ne mette la planète à l’arrêt, Bonobo avait pu livrer un DJ mix pour la franchise Fabric. L’exercice lui avait donné l’occasion d’enchaîner des titres house dont le caractère dansant tranchait avec son esthétique habituelle. Trois ans plus tard, il reste quelques traces de cette échappée dans le nouveau Fragments. Lancé comme premier single, le morceau Rosewood, par exemple, est sans doute l’un de ceux qui vise le plus explicitement la piste de danse, avec son riff de piano house et son sample soulful. Juste derrière, Otomo, réalisé avec son camarade de label, le jeune producteur anglais O’Flynn, s’offre lui plusieurs remontées acid énergisantes.
Pour autant, Bonobo ne s’éloigne jamais très longtemps de ses fondamentaux. Spécialiste d’une electronica sentimentale et rêveuse, il continue de cultiver ses penchants les plus laidback. Sur un titre comme Tides, le résultat est particulièrement élégant, porté par la voix subtile de la chanteuse-poétesse chicagoanne Jamila Woods. Plus tôt, c’est Jordan Rakei qui prend en charge les vocaux de Shadows. Sans surprise, le chanteur-songwriter est comme un poisson dans l’eau, parfaitement à son aise dans les grooves chamallow de Bonobo. Comme l’auditeur d’ailleurs: à aucun moment il ne sera vraiment bousculé par Fragments. Aujourd’hui vétéran de la scène électronique, Simon Green a pris le pli d’approfondir plutôt que d’élargir son univers musical. Qui pourra lui reprocher, tant qu’il livre des disques comme celui-ci, sans doute l’un des plus consistants et maîtrisés de sa carrière.
Bonobo
« Fragments »
Distribué par Ninja Tune.
7
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