MÉMOIRES DÉRANGÉES – DANS SO LONG, LUISE, CÉLINE MINARD DESSERRE LES FREINS DE SON IMAGINATION HÉDONISTE, DÉROUTANTE, INEXTRICABLE. UN EXERCICE DE HAUT VOL.

DE CÉLINE MINARD, ÉDITIONS DENOËL, 215 PAGES.

Laissez-vous glisser le long de la pente douce d’une folie passagère; basculez dans le monde fantasque de cette auteure hors du commun. Entouré de gnomes allemands et de Pictes, méfiez-vous des Pixies et des Génies de la cour unseelie. Apprivoisez-les grâce à un langage médiéval, celui des contes et des légendes, pour appréhender les mondes parallèles de ce roman en mal d’imprévus, d’extrêmes et de chocs des mots.

XXX est cette romancière de réputation internationale qui, sentant approcher la Faucheuse à grands fracas, décide de rédiger une lettre testamentaire (on n’est jamais trop prudent) et d’y livrer ses souvenirs, ses bonheurs, ses délires les plus jouissifs. Elle l’adresse à l’aimée, Luise, artiste de son état avec laquelle elle a partagé sa vie festive.  » Dans cette retraite, car cette fois, je crois que c’en est une, j’ai tout le loisir d’immobiliser le temps et de revoir, à l’ombre clignotante du grand saule qui balance entre le tertre et l’eau et couvre à la fois la barque et le ponton branlant, ma dernière copie. « 

Montaigne revu et corrigé

Humour, érotisme, intelligence verbale, collusion entre les langues mortes et vivantes, l’anglais, le français, le latin ou encore l’italien sont autant d’ingrédients de ce roman déroutant, débordant de plaisirs sexuels, de bonne chère et d’un amour immodéré pour la Nature.  » Ce n’est pas philosopher qui est apprendre à mourir. C’est vivre de multiples vies dans des personnages dérobés et surnuméraires. Les vivre et les laisser.  »

Car elle les aura pressés pour mieux les écraser, ces imposteurs qui l’ont précédée. De fait, à côté de son £uvre romanesque et épistolaire, la narratrice se multiplie, prolifère, se déroule en personnages incongrus qui ont goûté à tout: le vol « considéré comme un des beaux-arts », le « détroussement » de routiers peu sympas, la recherche d’un temps révolu, la cabale et la cavale à travers la Suisse, l’Angleterre, l’Irlande ou l’Italie.

Et la Dame a du goût: du Chassagne-Montrachet aux grands champagnes, elle sait apprécier les crus prestigieux. Il suffit d’assister à la fête de ses  » anti-noces d’argent » pour en avoir la preuve. Parfaite hédoniste, elle ne possède rien  » que la puissance et peut-être le talent de recréer, allongé sous un saule dans un fauteuil articulé, ce que nous avons soi-disant déjà vécu ».

Céline Minard avait déjà conquis le monde littéraire en 2008 avec son roman Bastard Battle dans lequel elle mêlait le conte médiéval au manga japonais. Passionnée par la manipulation des langues, elle avouait dans un entretien que c’est Froissart qui lui avait donné le goût de  » la langue vivante », en orthographiant un mot d’une façon et d’une autre à 2 lignes d’écart. Pour elle, il n’existe pas de langues pures alors pourquoi ne pas les brasser dans un énorme chaudron de Babel? Et pourtant, certains lecteurs détesteront So long, Luise pour les mêmes raisons, une écriture inventive et épuisante tant elle est gorgée de n£uds inextricables. Doit-on en déduire que Minard écrit pour une minorité intellectuelle, de préférence polyglotte? Non, le lecteur peut se laisser tout simplement emporter par cet exercice linguistique de haut vol où langue et histoire sont intimement liées.

MARIE-DANIELLE RACOURT

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