Sleaford Mods: « Sans le coronavirus, le Brexit était déjà un spectacle de merde. Avec, je ne sais pas comment ça va tourner »

Jason Williamson: "C'est dur de se tenir à l'écart des infos. Mais je ne veux pas m'y noyer. Ce n'est pas bon pour ma santé. " © SIMON PARFREMENT

Chroniqueur mordant de l’Angleterre moderne, Jason Williamson raconte son confinement pandémique, les perspectives pour l’industrie et la toute fraîche compilation de Sleaford Mods. Fuck off…

Mur monochrome. Aucun élément de décoration. Jason Williamson est à l’interview Zoom comme à la vraie vie. Sans fioriture. Brut de décoffrage. Alors que Sleaford Mods peint avec All That Glue (lire la critique ci-dessous) son autoportrait, craché, en mode compilation, le rejeton de Johnny Rotten, de Paul Weller et du Wu-Tang Clan taille le bout de gras depuis sa maison…

Sur Twitter, tu disais regarder de mauvais film avec Brad Pitt et te mettre à GarageBand. Tu branles quoi d’autre de ton confinement?

Pas grand-chose. Je fais de l’exercice. Sans, je deviens grincheux. Et on tente de trouver un semblant de structure à la journée des enfants. J’essaie de ne pas trop lire les nouvelles et de ne pas m’énerver sur la politique. Mais bon, c’est assez difficile d’ignorer la corruption et la mauvaise gestion. On peut sortir une fois par jour ici pour aller se promener (cette interview a eu lieu le 29 avril, NDLR) et on croise de plus en plus de monde. Je pense que les gens intègrent le fait que tout ça a été très mal géré. Quand tu vois le nombre de morts, l’approche relax de la situation… Ce qui me fout vraiment en rogne, c’est qu’on a un gouvernement inutile guidé par l’économie et la préservation des finances.

La pandémie va-t-elle transformer l’industrie musicale?

Je ne sais pas. Personne ne sait. Les concerts ont sauté pour une bonne année peut-être. Mais l’industrie du divertissement va selon moi repartir sur le même modèle. Quelle que soit la réduction de l’échelle. Le nombre de gens qui pourront encore acheter des tickets et des disques. Tout ça va se faire graduellement. Pour les plus petites salles, j’espère une réouverture en septembre, octobre. Sous quelle forme? Bonne question. Elles vont devoir bosser sur des politiques de distanciation. Des endroits pouvant accueillir 2.000 personnes vont peut-être être limités à 800 ou 500 spectateurs. Ça va être compliqué. C’est dur à imaginer et à mettre en oeuvre. Je ne pense pas que les services de streaming vont encore tout ramasser. Bandcamp peut être un moyen de survie ou à tout le moins synonyme de rentrées financières… Il n’est pas possible de vivre sur les seules ventes de disques. On ne sait de toutes façons pas encore quelle sera l’étendue de la destruction. Beaucoup de business vont s’effondrer.

Le Covid-19 n’a pas d’effets trop dramatiques sur Sleaford Mods?

On n’avait pas des masses de concerts cet été. Ce n’était pas une année trop chargée en matière de live. On devait tourner aux États-Unis. Ce que j’attendais. Mais je me sens surtout mal pour tous les artistes qui ont sorti un vrai nouveau disque. Nous, c’est une rétro, pas un album studio. Si ça avait été le cas, on l’aurait reporté. On est encore bien lotis. On tourne depuis sept ans. On a pu épargner de l’argent ces derniers temps. On peut subvenir à nos besoins pour un an environ mais un tas de groupes n’ont pas ce luxe. C’est inquiétant. Ils vont devoir trouver de quoi faire bouillir la marmite. Ils feront ce qu’il faut pour survivre. Dénicher un boulot ou n’importe quoi d’autre. C’est juste du bon sens. Quand tu as besoin de fric, tu dois bosser. C’est comme ça que ça marche. Mais qui sait? Les choses pourraient changer de manière positive. Même s’il y aura des mecs pour mettre tous nos malheurs sur le dos des immigrés, des étrangers.

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Comment est venue l’idée d’All That Glue?

On a voulu rassembler sur un même disque certaines de nos meilleures chansons. Donner des points de repère à nos plus récents fans. Des titres comme Jobseeker, Jolly Fucker ou Routine Dean, tu ne pouvais plus les trouver que sur YouTube. On tenait à leur filer de la visibilité. C’est aussi une bonne introduction pour tous les gens qui n’ont jamais entendu parler de nous. Un greatest hits nous semblait trop convenu. On a donc compilé des tubes, des B-sides, des raretés. Des trucs qui selon nous nous représentent.

Vous avez choisi pour pochette un urinoir…

Il est solidement connecté à Sleaford Mods. Nos premières chansons parlaient souvent de toilettes, d’urine… Tied up in Nottz (avec son « The smell of piss is so strong it smells like decent bacon ») a été inspiré par des chiottes à Hambourg… En même temps, la pochette représente le fait que l’art ne doit pas être inaccessible ou un putain de je ne sais quoi. Qu’il peut se manifester sous la forme d’une cuvette. D’un dessin de gogues. C’est beau à mes yeux. Et ça correspond à ce qu’est Sleaford Mods. Tu n’as pas besoin de guitare, de batterie et de cuivres pour être un groupe que les gens remarquent. Rien ne t’oblige à utiliser les moyens traditionnels pour créer une oeuvre. L’art, ce n’est pas seulement une toile de grand peintre à la Tate…

Sleaford Mods:

Quelle relation entretiens-tu avec la musique pendant le confinement?

Pour l’instant, j’écris de nouvelles chansons. Elles sont encore assez rudimentaires mais seront de toute évidence liées à ce qu’on traverse. On verra ce que ça donne. Je n’ai pas de studio à la maison. Pour l’enregistrement, il faudra attendre que les restrictions soient levées. Je me suis remis à jouer de la guitare. Andrew (Fearn, NDLR) m’envoie des démos. J’écoute pas mal de musique, en fait. Ce qui sort pour l’instant n’a pas l’attention qu’il mérite. Les gens ont d’autres trucs à l’esprit. Les albums se perdent. Tu dois un peu chasser. J’ai essayé de jeter une oreille au nouveau Strokes pour voir à quoi il ressemble… Sinon, j’ai pas mal écouté Westside Gunn, Aldous Harding, Amyl and The Sniffers, The Chats…

Les applaudissements pour le personnel médical ont eu le don de t’irriter.

C’est le genre de truc qui te détourne de la réalité. Le NHS, le système des soins de santé britannique, est sous-subventionné et négligé par le gouvernement. Personne ne veut d’une privatisation et c’est définitivement vers ça qu’on va. Applaudir est une insulte au bon sens. On parle d’un service public éteint par le parti conservateur. Est-ce que ça peut changer? Ça dépendra de ceux qui votent pour ces politiciens. C’est déprimant. On est dans le train. Sans le coronavirus, le Brexit était déjà un spectacle de merde. Avec, je ne sais pas comment ça va tourner.

Sleaford Mods – « All That Glue »

Distribué par Rough Trade/Konkurrent. ****(*)

Titre de la toute première chanson écrite ensemble par Jason Williamson et Andrew Fearn (elle ne sera dispo que sur le flexi disc de l’édition limitée), All That Glue compile le meilleur de Sleaford Mods depuis que le beatmaker glandouilleur a accouplé ses beats minimalistes à la poésie urbaine et au vocabulaire châtié de son furieux complice. Sept années de méfaits, de fuck off, de twat, de bastard. Sept années d’observation de l’Angleterre à hauteur de comptoir, d’immersion en sous-marin dans les agences pour l’emploi. Un mélange irrésistible de hip-hop, de post-punk, d’humour cinglant et de punchlines dévastatrices postillonnées dans la tronche de la Grande-Bretagne profonde. Un must.

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