UN BIOPIC SUR JIMI HENDRIX… SANS AUCUNE CHANSON DU GÉNIAL MUSICIEN! IL FALLAIT OSER. JOHN RIDLEY L’A FAIT.

Sans chanson. Non pas 100 chansons. Mais sans chanson. Pas l’ombre d’une, peau de balle, niente, nada! Le petit miracle d’un biopic sur un musicien et chanteur universellement célèbre, mais qui ne contient aucune de ses compositions! John Ridley fait fort avec Jimi: All Is by My Side, son film sur Jimi Hendrix vierge de tout accord appartenant à la discographie du génie de Seattle. Dans le contexte d’un projet où le réalisme était un enjeu majeur, c’est une forme d’exploit, une source de frustration aussi bien sûr, mais qui n’empêche pas le film d’être intéressant, voire par moments passionnant.

Pour pouvoir utiliser les oeuvres d’un artiste disparu, il faut obtenir l’accord de ses ayants-droit. Ceux d’Hendrix, sa demi-soeur Janie en tête, se sont étonnés de voir annoncer la mise en production d’un film sur Jimi sans qu’aucune demande ne leur soit faite en ce sens. Inutile de dire que pareille abstention ne pouvait être perçue que comme volontaire, et signifier soit que les moyens nécessaires à payer les droits n’étaient pas réunis, soit que le scénario présentait une image que les proches de la rock star pourraient difficilement approuver. Sans doute y avait-il un peu des deux. Ridley disposait à l’évidence d’un budget limité (dont il fait par ailleurs fort bon usage dans sa recréation modeste mais efficace des sixties). Et All Is by My Side ne dore pas la pilule d’un musicien plein de charme mais aussi amateur de drogues -elles auront sa peau- et capable d’accès de violence brutale, surtout envers la gent féminine… Bref, le téléphone de Janie Hendrix ne sonna jamais, et le film n’offre donc à entendre ni Purple Haze, ni Little Wing, ni Voodoo Chile, ni The Wind Cries Mary, ni aucun autre sommet et ce y compris les reprises marquantes d’autres compositeurs comme Hey Joe (Billy Roberts) ou All Along the Watchtower (Bob Dylan), ces enregistrements faisant eux aussi partie du catalogue indisponible sans autorisation…

Tourner autour du pot

L’impact de cette absence ne saurait être masqué, quelles que soient par ailleurs les réelles qualités du film. On saisit bien moins clairement la progression de la notoriété d’un Hendrix dont on nous dit qu’il est devenu « une rock star« , qu’il a « déjà conquis Londres » et qu’il « doit maintenant conquérir les Etats-Unis » sans pour autant faire entendre les raisons musicales de ce succès. Le sommet de frustration étant atteint dans la séquence de la première session de studio avec The Jimi Hendrix Experience, dont on ne voit que les prémices d’une prise deux fois interrompue brutalement avant le premier accord pouvant faire deviner de quelle chanson il s’agit!

Que voit-on dès lors de l’activité proprement musicale de Jimi? Un morceau joué sur scène avec le chanteur soul Curtis Knight, dans le groupe duquel Hendrix joue à New York au début du film, dans l’indifférence générale d’un petit club où est heureusement présente Linda Keith (mais nous y reviendrons)… Aussi une scène de jam session londonienne où Jimi rejoint The Cream et fait s’éclipser un Eric Clapton vexé tandis que Jack Bruce (à la basse) et Ginger Baker (aux drums) s’éclatent avec le jeune Black aux cheveux en pétard… Enfin un extrait de concert anglais où Hendrix et son Experience interprètent une chanson… des Beatles, Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band! Nous avons aussi droit, sinon et pour tourner autour du pot, à des balances sonores, des accordages, des impros dans le vide, et quelques mesures des auditions du bassiste Noel Redding et du batteur Mitch Mitchell, futurs membres du Jimi Hendrix Experience…

D’une limite, une vertu?

C’est peu, bien peu, alors que l’évocation de la scène musicale de la seconde moitié des années 60 est plutôt bien cadrée, avec les fameux murs de baffles Marshall et les costumes de scène acquis aux fripes des boutiques de Carnaby Street. Alors qu’aussi le casting est bon, très bon même, avec un André « 3000 » Benjamin habité en Jimi, et une Imogen Poots craquante dans le personnage clé de Linda Keith, la petite amie du Rolling Stone Keith Richards et celle qui découvrit Hendrix et lui fit croire en son potentiel inouï. C’est elle qui offrit ou prêta (selon les témoignages) la très fameuse Fender Stratocaster blanche gravée aux initiales de… son boyfriend, « KR ». La guitare des premiers succès, caressée par la caméra comme l’est aussi la non moins célèbre Gibson Flying V des années du triomphe.

On eût aimé voir un peu plus Jimi jouer de ces instruments mythiques, et surtout les entendre… Mais la peste soit des regrets inutiles! John Ridley s’emploie ardemment à faire une vertu de ses limites, à emmener le spectateur dans une économie particulière où l’absence des chansons serait (presque) oubliée tant le portrait de l’artiste en humain capterait l’attention. Il s’appuie sur l’angle spécifique de son film, qui nous fait suivre Hendrix sur la rampe de lancement, avant le décollage qui prendra notamment le visage du double choc des concerts à Monterey et à Woodstock. Un fort parti pris est souvent à l’origine des biopics musicaux les plus intéressants, tels le Backbeat de Iain Softley (1994) sur les tout débuts des Beatles, ou I’m Not There de Todd Haynes (2007) visitant les âges et visages de Bob Dylan à travers une suite d’avatars surprenants (dont un jeune Black et une femme!). Jimi: All Is by My Side n’est pas au même niveau, mais mérite l’attention. Les fans, les connaisseurs, qui ont les chansons en tête, apprécieront probablement le film en dépit de ses manques. On doute pourtant que des néophytes puissent se retrouver conquis sans qu’opère la magie de la musique. Cette musique qui fait dire à Robert Smith (The Cure) qu’elle a changé sa vie. Et qui poussa Eric Clapton à réagir ainsi à l’annonce du décès de Hendrix: « Non! Pas Jimi. J’aurais préféré que ça soit moi, pas lui… »

TEXTE Louis Danvers

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