Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

IL Y A DE LA RÉSURRECTION ORCHESTRALE DANS CE DOUBLE CD ENREGISTRÉ PAR LE CRUCIFIÉ JOHN GRANT, ICI EN FUSION INTRÉPIDE AVEC LE BBC PHILHARMONIC ORCHESTRA.

John Grant With The BBC Philharmonic Orchestra

Double CD « Live In Concert »

DISTRIBUÉ PAR PIAS.

8

Jusqu’au mitan des années 60, la BBC renâcle tellement à passer de la pop dans son Light Programme qu’elle finit par doper le succès des radios pirates en mer du Nord. L’idée que le service public anglais associe son département classique à la moindre particule rock tient alors de la pure science- fiction. Un demi-siècle plus tard, les partenariats du genre se sont banalisés, depuis 1969 et le Concerto For Group And Orchestra, rassemblant Deep Purple et le Royal Philharmonic Orchestra. Néanmoins, la plupart du temps -cf. Metallica et The San Francisco Symphony en 1999-, le résultat fait penser à ces poulets gonflés d’hormones qui courent décapités sans comprendre la brutale greffe qui leur est imposée, la musique ne gagnant rien en richesse chromatique ou en intensité émotionnelle. C’est le piège évité ici, par l’union entre un auteur-compositeur américain qui fait de ses fêlures un mode de vie et un orchestre britannique d’une soixantaine d’instrumentistes. L’un pourrait renvoyer l’autre dans le domaine surligné, genre doublage de spleen. Mais non.

Echelle de Richter

Né en 1968 dans le Michigan mais élevé au Colorado, Grant fait partie de The Czars, alternatifs de Denver, avant de livrer deux albums solos en 2010 et 2013. Sources de reviews d’autant plus laudatives que ses chansons americana servent de bio directe à une vie piégée: John Grant, dépressif, camé, alcoolo, apprend début 2011 qu’il est séropositif. Ingrédient peu favorable à la course au bonheur, ici formidablement dérouté par un live changeant le chagrin en graine d’espoir retrouvé. La voix de Grant est égale tout du long -puissant morceau de craie sur un tableau friable- mais, autour de lui, les rôles de l’orchestre changent en permanence. Aucune formule toute faite, au sens « classique », où les cordes ne feraient qu’enrober la sauce mélodique, déjà aigre-douce vu les textes peu fendards du mec concerné. L’arrangeuse, Fiona Brice, ayant travaillé avec Grant, Placebo et Anna Calvi, accomplit un beau tracé imaginatif: elle laisse à l’orchestre sa voilure nature, sans jamais nier les autres pistes musicales, notamment celles des trois accompagnateurs « rock »de l’affaire. Cette brillance sur l’échelle 8 d’un Richter sensitif donne des moments qui ne s’oublient pas: l’intro mozartienne, quasi-Requiem, de Pale Green Ghosts ou ce mix de sequencers épousant les cordes alors que la voix très Rufus Wainwright de Grant égrène les excès de la détresse (You Don’t Have To).La réussite du disque est aussi une histoire de dynamique et de carburant sonores: donc à écouter, de préférence, en hi-fi monumentale.

PHILIPPE CORNET

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