VINGT-DEUX ANS APRÈS L’ORIGINAL, COLIN TREVORROW RELANCE LA FRANCHISE JURASSIC PARK, AVEC LA BÉNÉDICTION DE STEVEN SPIELBERG ET LE CONCOURS DE CHRIS PRATT ET BRYCE DALLAS HOWARD. UN FILM MONSTRE(S).

Tyrannosaures, tricératops, brontosaures et autres: les dinosaures ont toujours occupé une place privilégiée dans le bestiaire cinématographique. Un Buster Keaton pouvait ainsi, dès 1923, chevaucher un diplodocus dans The Three Ages, avant que Harry O. Hoyt n’établisse durablement leur suprématie à la faveur de The Lost World, deux ans plus tard. Et de dégager la voie au film de monstres, un genre dont le succès ne devait jamais se démentir. Jusqu’aux studios Pixar qui s’y frottaient, il n’y a pas si longtemps et à leur façon s’entend, dans Monsters, Inc. , là où un Bong Joon-ho le réinventait brillamment dans The Host, et l’on ne parle que pour la forme des resucées de King Kong et Godzilla envahissant régulièrement les écrans.

Mais si, au fil du temps, le « creature movie » a ainsi connu de nombreuses variables, le parc animalier s’ouvrant parallèlement aux espèces les plus diverses -araignées géantes, poulpes monstrueux, singes gigantesques, créature du lagon, piranhas, yéti, vers de terre, loups-garous et autres, plus ou moins fantaisistes-, les dinos ont toutefois continué à bercer l’imaginaire du public. Steven Spielberg ne s’y est pas trompé qui, en 1993, leur offrait un terrain de jeu à leur mesure, avec Jurassic Park, un film monstre(s) appelé à faire date, tout en générant une juteuse franchise, le réalisateur de Jaws ne laissant à nul autre le soin de lui donner une suite, The Lost World, avant de céder le relais en 2001 à Joe Johnston, pour un Jurassic Park III d’un intérêt relatif.

Alors qu’on ne l’attendait plus vraiment, voilà que sort ces jours-ci (le 10 juin, critique dans Focus du 12/06 et dès le 09/06 sur www.focusvif.be) un Jurassic World qui aurait tout aussi bien pu s’appeler Jurassic Park IV. L’héritage des premiers volets n’est pas seulement évident, mais également revendiqué, et le film assume la lignée Amblin, la société de production créée à l’orée des années 80 par Kathleen Kennedy, Frank Marshall et Steven Spielberg. Ce dernier s’est, du reste, largement investi dans le projet, et en a, par exemple, désigné lui-même le réalisateur. A savoir Colin Trevorrow, choisi sur foi de son unique long métrage, Safety not Guaranteed, un film indé fauché qui eut le don de convaincre le maître du divertissement made in Hollywood (dont l’on salue au passage la curiosité) tout autant de son talent que de sa capacité à porter un blockbuster. « Quand j’ai rencontré Steven, je savais qu’il n’y avait pas de compétition, j’étais seul en lice, rapporte l’heureux élu. Il avait arrêté son choix, mais souhaitait me voir pour s’assurer que j’étais fiable, et qu’il n’aurait pas affaire à un dingue. » Ainsi adoubé, et bien que ravi de l’aubaine, Trevorrow n’a cependant pas voulu acheter un T-rex dans un sac, insistant pour reprendre le scénario afin de l’aménager à sa main: « Si l’on se lançait dans un nouveau Jurassic Park, il fallait que ce soit vraiment spécial. Derek Connolly et moi, nous nous sommes appuyés sur les piliers fondamentaux de l’histoire qu’avait imaginée Steven, à savoir que le parc de dinosaures serait désormais ouvert, qu’on y trouverait un entraîneur de raptors en mesure de communiquer avec les animaux, ainsi qu’un dinosaure génétiquement modifié constituant une menace. Après quoi, j’ai veillé à faire un film original, situé dans l’univers de Jurassic Park, mais qui le fasse progresser, et j’ai pris divers risques créatifs à cet effet. C’était indispensable: si Jurassic World devait être un échec, il fallait que l’on puisse me l’imputer. »

Sécurité non garantie, donc, et une petite phrase résumant également à merveille Colin Trevorrow, lequel, s’il confesse un immense respect pour Spielberg et son oeuvre –« ses films font partie de mon ADN »-, n’en a pas moins conservé un esprit foncièrement indépendant. Et de relever au passage les similitudes entre Safety not Guaranteed et Jurassic World. « Ces deux films me semblent assez proches, dans la mesure où ils mélangent les genres: Safety Not Guaranteed était un cocktail de science-fiction, de comédie, de romance et de mystère, et celui-ci est un thriller mêlant aventure, horreur, action, humour et romance… » Quant à la différence d’échelle, elle n’aura pas entamé son enthousiasme. « Pour être honnête, je me suis senti plus à l’aise sur ce projet. Pouvoir imaginer ce que l’on veut sans être toujours soumis à des contraintes budgétaires est extrêmement libérateur. Tourner un film pour 700 000 dollars, comme Safety, est très dur: aux limitations objectives s’ajoutent celles liées au fait que chacun évolue dans un certain inconfort, avec ce que cela peut avoir d’inhibant. »

Régresser jusqu’à l’enfance

Outre celles de divers raptors et d’un monstre d’un nouveau genre, un Indominous Rex ravalant ses prédécesseurs au rang d’aimables animaux de compagnie, Jurassic World porte la griffe de Trevorrow qui a su, comme James Gunn avec Guardians of the Galaxy, rafraîchir un genre éprouvé, sans le révolutionner pour autant. S’il ne lésine pas sur les pics d’adrénaline, le scénario refuse de sacrifier ses personnages à la démonstration de force, tout en actualisant les thématiques embrassées. Et le cinéaste a, par ailleurs, su composer avec les implications techniques d’une telle entreprise, entre une 3D suffisamment habile pour qu’on en vienne à l’oublier, et des effets spéciaux où CGI et animatronique cohabitent harmonieusement.

Autant dire que le film fait mieux que répondre aux attentes, et devrait asseoir la réputation de son réalisateur, sans pour autant que ce dernier y voie une fin en soi. « Tous les cinéastes que j’admire, Spielberg compris, ont eu la possibilité de grandir petit à petit et de peaufiner leur travail, de faire des erreurs et d’y remédier. Pour ma part, j’ai le sentiment d’avoir accompli un voyage dans le futur pour tourner un film que j’aurais pu faire à 50 ans. J’aspire désormais à revenir en arrière, et tourner certains des films dont j’estime qu’ils auraient dû voir le jour entre Safety not Guaranteed et Jurassic World. Si j’ai retenu quelque chose de Steven, c’est assurément le désir de changer constamment, et de ne jamais se répéter. » En attendant, Trevorrow savoure l’instant présent, et son apport à la franchise. « J’ai découvert Jurassic Park à l’âge de seize ans. J’étais un ado un peu cynique, qui pensait savoir comment tout fonctionnait. C’est en le voyant que j’ai réalisé qu’un bon film, certainement de ce style, peut vous faire régresser jusqu’à l’enfance. Etre un enfant n’est pas nécessaire pour y prendre du plaisir. C’était vraiment le lot des productions Amblin, et si mon film pouvait y arriver également, j’en serais fort heureux… » Quelque chose comme la pierre philosophale. Ou, plus simplement, le secret de la pérennité des films de monstres…

TEXTE Jean-François Pluijgers, À Paris

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