RÉCENT VAINQUEUR D’UN OCTAVE DE LA MUSIQUE, SCYLLA RESTE ENCORE PEU CONNU EN DEHORS DU CERCLE HIP HOP BRUXELLOIS. AUX NUITS BOTA, IL SE LANCERA DANS UNE FORMULE ACOUSTIQUE INÉDITE. RENCONTRE.

Il ne bosse pas loin de là. Rue de la Loi, Scylla a donné rendez-vous sur le temps de midi, dans une chaîne bobo-fast food du coin. Attablé devant sa soupe bio, au milieu des eurocrates en costard-cravate, le rappeur sourit: « Je n’aime pas les cases. » Ni les clichés. Ceux dans lesquels tombent encore souvent certains de ses collègues. Comme ceux dans lesquels ils sont toujours systématiquement enfermés et qui les rendent quasi invisibles dans les grands médias. Refrain connu. L’an dernier, Scylla a rempli une Ancienne Belgique. Son album Abysses est resté plus de six mois dans l’Ultratop, atteignant le top 10. Il s’est également vu décerner le mois dernier l’Octave du meilleur album catégorie « Musiques urbaines ». Mais cela n’a toujours pas suffi à lui offrir une visibilité conséquente en dehors du « ghetto » rap. L’intéressé a l’air de s’en foutre un peu. Le discours victimaire, ce n’est pas trop dans les habitudes de la maison. « Il y a une raison à tout », explique-t-il, philosophe. Le fait de travailler sans label ne doit par exemple pas aider, se dit-on. Ne pas s’aligner sur les canons commerciaux actuels non plus. « Pourquoi un certain rap fonctionne? Peut-être parce qu’il est le pur reflet de son époque, capitaliste et hyperconcurrentielle. »

Le Bruxellois, lui, est loin de ça. Crâne rasé, voix rocailleuse, sourcils froncés en permanence: de loin, le rappeur a des allures de ruffian irascible, gueule d’atmosphère qu’il ne faudrait pas trop chatouiller. En vrai, il a plutôt le sourire zen et le discours du sage. « J’ai toujours aimé le côté dur au coeur tendre. Cela vient peut-être des gens qui m’ont élevé, comme mon grand-père. Ou les mecs dans la rue, qui pouvaient parfois arriver à des extrémités pour se défendre, mais qui étaient toujours animés par des principes bien ancrés. » La rue, c’est un peu là que Scylla s’est construit, plus qu’à l’école. Né à Bruxelles à l’automne 80, il explique: « Ma mère a cru bien faire en m’inscrivant dans une école un peu huppée -le collège Saint-Pierre pour ne pas le nommer. » Sauf que le clash avec le public chic qui fréquente l’établissement est violent. Choc des univers et des classes sociales, pour celui qui vit « seul avec ma mère au chômage, je ne vois pas trop comment le décrire autrement ». La fraternité, la camaraderie, il les trouve ailleurs, auprès d’autres « marginaux », classés tricards comme lui. Ils passent leur temps dehors, à traîner: centre-ville, Saint-Gilles, Forest, Uccle… Quand on lui demande ce qu’ils faisaient, Scylla rigole, puis finit par lâcher dans un sourire: « On était ensemble. »

BX Vibes

Le rap est la bande-son de ces errances urbaines adolescentes. Un jour, fin des années 90, Scylla se rend chez son pote, à Forest, un ticket pour le concert d’IAM dans la poche. « La veille, il y avait eu des émeutes du côté de Cureghem. Le grand frère de mon pote avait entendu qu’il y aurait de nouveau certainement du bordel et il nous a interdit d’y aller. Du coup, pour tuer le temps, on s’est mis à écrire un rap. » Finalement, le duo réussira tout de même à s’échapper et voir un bout du concert des Marseillais. Entre-temps, le goût de l’écriture est né. Il ne lâchera plus Scylla, qui de collectif (Opak) en mixtapes et tubes Internet (l’hymne belgo-bruxellois BX vibes) se fera petit à petit un nom pour devenir aujourd’hui l’un des rappeurs les plus populaires de la scène francophone.

Son pseudo est venu rapidement. « Il fait référence en partie à la mythologie. L’idée d’une créature sous-marine me plaît. Je suis intrigué par les eaux profondes, à la fois fascinantes et inhospitalières, mal connues. Je trouve ça fou par exemple que l’on en sache davantage sur la lune que sur les abysses! Puis, il y a le côté mythification d’un monstre qui n’était en fait qu’un rocher sur lequel les bateaux s’échouaient. » C’est vrai qu’il a des allures de roc que rien ne peut ébranler. Quand il reçoit des propositions de labels, Scylla se permet par exemple de refuser. « On me sortait des trucs du genre: « Sinik va bientôt passer la main, il y a une place à prendre dans le créneau rappeur blanc. » Je n’en revenais pas, moi qui essayais justement de casser les codes. »

Pour l’instant, il fonctionne donc en indépendant, en combinant boulot et rap. Lui qu’on a voulu envoyer plusieurs fois dans le technique ou le professionnel a finalement obtenu un diplôme de Sciences-Po de l’ULB, et un DES en droit international public. Il bosse aujourd’hui comme chef de projet dans une institution de la Sécu. Sans rien lâcher de sa passion. Pendant les Nuits Bota, il s’offrira la scène du Cirque royal. A côté de la formule rap classique, il proposera de nouvelles versions de ses morceaux -accompagné de Flev à la boîte à rythme et du pianiste classique Sofiane Parmart-, ainsi que des bribes de leur projet commun. De cette nouvelle direction, il ne dira pas beaucoup plus. Si ce n’est que les thématiques devraient continuer à creuser la veine d’un rap « conscient », évidence pour celui qui se dit passionné par les questions de spiritualité et autres interrogations métaphysiques.

« Abysses, c’est vraiment ça: plonger tout au fond de la psychologie humaine, et essayer de la comprendre. » Pas tellement pour parler de soi, sinon en descendant assez loin dans les profondeurs pour déboucher sur ce qui est commun à tous. « On me dit souvent que mes raps sont sombres. Je peux le comprendre. Mais ce n’est jamais du défaitisme, que j’exècre par-dessus tout! Il y a au contraire toujours une lumière. Une lueur qui n’est jamais aussi belle que quand elle tranche l’obscurité. »

LE 20/05, AU CIRQUE ROYAL.

RENCONTRE Laurent Hoebrechts

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