Le mythe de l’écrivain, en peignoir et mal rasé, sirotant un whisky au milieu de la nuit tout en tapant à la machine n’est pas si éloigné de la réalité. Admettons que le travail se fait le plus souvent à jeun et que l’ordinateur a tendance à remplacer le papier, mais tous ceux qui ont choisi de noircir des feuilles pour gagner leur vie savent qu’il s’agit là d’une activité solitaire. A mille lieues de l’agitation des plateaux de cinéma, et mal comprise du grand public. Coincé entre son réalisateur, s’il en a un, et son angoisse de la page blanche, le scénariste a en outre souvent du mal à prendre du recul. On comprend dès lors bien vite l’intérêt d’une démarche telle que l’Atelier Grand Nord, qui proposait cette année à 13 heureux élus une semaine pour rencontrer 12 de leurs semblables et 7 « experts », parmi lesquels Jean-François Halin ( OSS 117, Les Guignols de l’Info), Solveig Hanspach ( Haut les c£urs, Stormy Weather) ou Luc Jabon pour la Belgique ( Le Maître de Musique, Pure Fiction). Facile aussi de voir comment tout cela pourrait déraper, tourner à la bataille d’egos à huis clos.

Il est vrai que le lieu choisi pour accueillir les débats enflamme immédiatement l’imagination des mordus de cinéma. Posé devant la rivière des Outaouais, si large que les Européens croient tous que c’est un lac, dominé par un immense ciel « gris belge » et noyé sous le blanc de la neige, le Château Montebello évoque immédiatement Shining ou un suspense hitchcockien. Dominant la bourgade du même nom (1000 habitants), il cumule les records inattendus: plus grande structure en bois rond du monde, plus grand domaine hôtelier du monde, plus grande cheminée et plus grande piscine d’hôtel d’Amérique du Nord… Il a reçu de nombreux chefs d’Etats et stars de cinéma, attirés sans doute par le calme ambiant. En effet, rien à faire en dehors de l’hôtel que de se perdre dans la forêt ou de longer une de ces interminables bandes de macadam dont l’Amérique a le secret. Pendant une semaine, tout peut arriver, c’est certain!

Dès le premier soir, la curiosité prend le pas sur la timidité. On échange ses expériences, son parcours, ses différences nationales. Les Belges envient le public du cinéma québécois, les Québécois l’exportation des films belges. L’IAD et l’INSAS se réconcilient autour d’un ragoût de bison grâce aux 2 représentants belges, Matthieu Donck et Delphine Noels.

Le plus dur à ce stade est surtout d’associer les scénarios à leur auteur. Exercice passionnant, car on n’a pas toujours la tête de ses histoires. Si on ne s’étonne pas que le Lausannois François Bovy, qui a tout l’air d’un baroudeur revenu de tout, signe la dure histoire de rédemption d’un flic colombien aux prises avec les cartels, que dire d’Emmanuelle Millet, Parisienne souriante et douce, mère de 3 enfants, qui se fend d’une chronique sur le déni de grossesse? Et si Dominic Goyer, venu en voisin, fait rire toute la tablée, sa fable sur un jeune père en quête de ses origines en laissera plus d’un pantois par sa noirceur lynchienne et sa violence sexuelle. Trois exemples, 3 parcours très différents qui mènent tous à l’aventure du long-métrage. Bovy a fait ses armes comme opérateur sur de nombreux documentaires, Millet vient de l’humanitaire dont elle a gardé une impressionnante valise-coffre siglée Médecins du Monde, Goyer travaille en ce moment sur 3 séries, dont une interactive sur le Web de Radio-Canada, RemYx.

Les cobayes sotiront ravis

Il en va des scénaristes comme des acteurs. Tantôt ils jouent le rôle de leur vie, tantôt ils livrent une vraie composition. Mais il y a fort à parier que ceux qui y ont mis le plus de tripes ont livré les £uvres le plus en décalage avec leur image. On mesure alors le risque de se présenter ainsi, encore fragile, comme nu, devant ses pairs. Et voici justement qu’arrive la première séance dite plénière, une heure de discussion à bâtons rompus autour d’un projet, à plus de 20 en tout. Habitués à la froideur des commissions et autres organismes de subvention, les premiers cobayes sortiront ravis de la bienveillance générale. Ici, pas de concurrence ni d’affrontement. Chacun veut bien faire, donner le conseil utile, et si les avis sont parfois contraires, leur accumulation permet à l’auteur de s’y retrouver et de trancher. On discute autant le fond que la forme. Les professionnels connaissent bien les rouages structurels dont il faut user avec sagesse. Ils savent aussi qu’une mauvaise mise en page ou des formulations trop compliquées suffisent à faire refuser un projet au stade de l’écriture, processus fragile où les garanties sont minces. Au bout du compte, tous sortiront de l’expérience gonflés à bloc pour une énième réécriture. Mario Bolduc, romancier de la belle province reconverti dans le polar télé et ciné estime carrément avoir gagné un an de travail!

Le revers de la pellicule

Après 2 jours, on se croirait dans une colo pour adultes (sans les dortoirs communs). Les quelques moments libres sont passés en groupe, à explorer la réserve naturelle voisine, à suivre les JO de Vancouver dans le grand bar sous-terrain ou à s’initier à grand peine au curling. La nuit venue, avant de jouir d’un repos bien mérité, on découvre encore les travaux des autres sur DVD. C’est par exemple l’occasion de constater que le souriant et discret Martin Desgagné est bien connu des presque 8 millions de Québécois. Acteur et metteur en scène reconnu au théâtre, il a joué dans plusieurs succès au cinéma et était le héros de la série Harmonium. Jamais entendu parler? Vous croyez qu’ils ont vu Melting Pot Café là-bas?! Etrange complexe qui se révèle encore une fois. Pourquoi les £uvres francophones circulent-elles si mal? Dans la pratique, on réalise que seules les coproductions semblent avoir une réelle chance de traverser l’océan, dans un sens ou dans l’autre. Et c’est bien le but ultime de cet atelier que de favoriser les rencontres. Le cinéma québécois a soif de s’étendre, son marché interne étant déjà conquis et saturé. A l’occasion d’une visite amicale de Denise Robert, « la » productrice québécoise (de Denis Arcand entre autres) et d’Eric-Emmanuel Schmitt (dont Oscar et la Dame Rose a été coproduit par la France, la Belgique et le Québec), 2 visions s’affrontent. Le duo de « poids lourds » a beau déclarer que ce sont les critères artistiques qui les guident, pour l’immense majorité, la coproduction est une affaire de nécessité. Il n’y a guère qu’Hollywood et Bollywood pour pouvoir se passer complètement de fonds publics. Sur un territoire aussi singulièrement étroit que celui de la Belgique francophone, par exemple, il est tout simplement impensable de monter un long métrage sans argent étranger. Interviennent alors tout une série de contraintes parfois exigeantes, visant pour l’Etat mécène à ne pas jeter son argent par la fenêtre. Engagement d’acteurs et de techniciens locaux, tournage ou post-production délocalisés, visibilité des paysages à l’écran, etc. Notre royaume n’est d’ailleurs pas en reste au rayon des incitants fiscaux. Le tax-shelter et Wallimage attirent depuis quelques années nombre de productions étrangères. Françaises, surtout, mais aussi anglaises ( Looking for Eric) ou… québécoises, comme Congorama où Olivier Gourmet donnait la réplique à Paul Ahmarani. Le jeu consiste à faire de ces contraintes des forces, à compléter les talents plutôt qu’à les opposer. A Grand Nord, plusieurs participants sont mêmes surpris de découvrir l’éventail des formules possibles et à quel point le Québec affiche sa volonté de coproduire. Nadim Tabet, représentant la France mais écrivant un film sur son pays natal, se met déjà à rêver d’une coproduction France, Québec… Liban!

A l’heure du bilan, un constat s’impose, tous sont ravis du déplacement, les experts se sont montrés accessibles et n’ont pas ménagé leurs efforts, les numéros de téléphone s’échangent entre participants. Chacun repart vers sa cinématographie un peu plus optimiste, un peu plus proche de la réalisation de son rêve, un pied dans le cinéma de demain.

Au cour de l’hiverquébécois, l’Atelier Grand Nord réunit chaque année depuis 7 ans une dizaine de j

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