33 ANS SE SONT ÉCOULÉS DEPUIS QU’IL A DÉCOUVERT MADONNA MAIS MICHAEL ROSENBLATT S’EST ADAPTÉ AU MARCHÉ. PORTRAIT, ET RÉFLEXION SUR UN MÉTIER EN MUTATION.

1982. Mark Kamins, DJ au Danceteria, mythique nightclub new-yorkais, parle à son pote Michael Rosenblatt d’une fille sur laquelle il a craqué. Elle est splendide et a apparemment enregistré quatre chansons. Quand un samedi, accoudé au comptoir du deuxième étage avec George Michael et Andrew Ridgeley (un de ses amis vient de signer Wham! et lui a demandé de les sortir), il voit la créature monter dans la cabine du disc jokey, Rosenblatt comprend vite. Il l’invite à passer lui faire écouter sa démo au bureau deux jours tard. Le résultat n’est pas génial. Mais la demoiselle est pour le citer « une putain de star qui rayonne de grandeur« .

Ils décident de conclure un marché et doivent se revoir dès le lendemain. Rosenblatt veut la présenter à Seymour Stein, le patron de son label Sire Records, alors à l’hosto où il se fait opérer du coeur. Il aimerait aussi que sa trouvaille lui montre une pièce d’identité pour s’assurer qu’elle s’appelle bien Madonna… « Un prénom trop beau pour être vrai. » « Je lui ai demandé ce qu’elle voulait, se souvenait-il il y a quelques années dans les pages du Rolling Stone. La mauvaise réponse, c’est: « Je veux faire connaître mon art » parce qu’on parle de business. Mais elle m’a répondu: « Je veux diriger le monde. » » A l’époque, Madonna a 23 ans. Elle a travaillé dans un Dunkin’ Donuts. Dormi dans une synagogue abandonnée du Queens. Joué les choristes pour Patrick Hernandez et auditionné pour La Dernière Tentation du Christ« Nos avocats se sont parlé le lendemain et on signait un deal avant la fin de la semaine. Personne d’autre n’en voulait. C’était facile et pas cher. Je ne savais pas qu’on tenait une future icône mais j’avais dit à Seymour qu’elle deviendrait plus grande qu’Olivia Newton-John, l’artiste féminine qui se vendait le mieux dans le monde à l’époque. Il avait ri. »

Michael Rosenblatt est un enfant du music business. Son père, Eddie, y entre en 1958. Au départ dans une petite maison de disques qu’il finit par diriger. Il distribue physiquement Atlantic, le label de Phil Spector, la Motown… Et devient l’un des architectes de WEA (Warner, Elektra et Atlantic) distribution. Michael voit les Beatles et les Doors en concert, prend la bagnole avec les Shirelles… Il apprend aussi très tôt le métier. Son paternel lui demande régulièrement quels sont les meilleurs singles des albums. Il empaquette des disques, bosse dans un studio d’enregistrement et n’a que 20 ans quand il décroche son premier taf pour Seymour Stein, qu’il rencontre par hasard dans une soirée. Michael est un grand amateur de punk et Sire Records a dans son catalogue les Ramones, Richard Hell, les Saints et les Dead Boys… Stein, en plein rapprochement avec Warner et donc intéressé à l’idée de connaître son père, lui propose un boulot de coursier.

Rosenblatt quitte Los Angeles, part s’installer à New York et, alors qu’il court les clubs, assiste au premier concert des B-52’s dans la Grosse pomme. Il fonce sur le téléphone public dans le fond du CBGB et appelle Seymour. « Il m’aime bien. Mais je suis le coursier et je l’appelle à minuit un mardi: forcément, il ne vient pas… Je l’ai harcelé pour qu’il aille les voir à Athens. Deux jours plus tard, il me filait une grande boîte de cassettes en me demandant ce que j’en pensais. J’étais devenu Artists & Repertoire (au sein d’un label, leresponsable de la découverte de nouveaux artistes ou de groupes à qui proposer un contrat, ndlr). »

Homme de l’ombre

Michael Rosenblatt a bossé avec Depeche Mode. Lancé Soft Cell et son Tainted Love aux Etats-Unis. « J’étais prêt à débourser 10 000 dollars pour ce morceau. On m’a répondu que je devais sortir tout l’album mais que je l’avais pour le même prix. On en a vendu un million d’exemplaires et on a écoulé deux millions de singles. On allait chercher ces groupes en Angleterre. C’était chez Phonogram/Polydor au Royaume-Uni. Mais Polydor Amérique détestait ces « merdes » new wave et ne les sortait pas. Tout le monde s’en foutait. »

Loin des scouts stars souvent aussi célèbres pour leurs frasques que pour leurs découvertes, Rosenblatt, qui a bossé pour son père chez Geffen ou encore comme A&R pour Warner Londres, est un homme de l’ombre. Un homme qui s’est adapté à une industrie en mutation. « Avant que les maisons de disques fusionnent, onze mecs pouvaient te dire: « Ok, on te signe… » Aujourd’hui, ils ne sont plus que trois. Et ça se passe comme ça partout », résumait-il dans le LA Weekly.

A l’heure actuelle, les groupes touchent de toutes façons des audiences conséquentes et se construisent une fan base solide sans passer par les services d’une maison de disques mais en faisant une utilisation intelligente des réseaux sociaux, de YouTube, d’iTunes et autres sites de distribution digitale. L’industrie aura toujours besoin d’éclaireurs et de filtres. Ils sont même plus nécessaires encore aujourd’hui qu’hier étant donné le fourmillement, la démocratisation de la musique et des techniques d’enregistrement. Mais ces rôles, ce sont souvent désormais les fans qui les endossent. Et les sites comme Pitchfork exercent davantage d’influence dans la découverte d’un groupe qu’une major.

Michael Rosenblatt est dorénavant dans le management d’artistes indépendants. Il a récemment été vice-président de LP33, une plateforme de découverte musicale liée à Treadstone Music Intelligence, réseau de 150 scouts créé par Paula Moore, une autre ancienne Artists & Repertoire. « Quel que soit le prochain grand groupe, il est déjà sur le Web… »

CHAQUE SEMAINE, COUP DE PROJECTEUR SUR UN CHERCHEUR D’OR MUSICAL.

TEXTE Julien Broquet

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