DE PABLO LARRAIN. AVEC ALFREDO CASTRO, ANTONIA ZEGERS, JAIME VADELL. 1 H 38. SORTIE: 16/03.

Inexplicablement snobé par Quentin Tarantino et son jury, Post Mortem fut pourtant l’incontestable révélation de la dernière Mostra de Venise, dont il aura, en quelque sorte, constitué le Lion d’or oublié. C’est justement à un travail de mémoire, sinon à une forme d’inventaire, que s’attèle Pablo Larrain dans son troisième long métrage, un film qui rouvre la page d’un épisode tragique, le coup d’Etat militaire qui, le 11 septembre 1973, devait renverser le président chilien démocratiquement élu Salvador Allende. Un contexte que le réalisateur embrasse sur un mode inusité, préférant à la frontalité le chemin détourné du destin d’un homme anodin semblant avoir la médiocrité collée à la peau.

Post Mortem raconte en effet l’histoire d’un individu terne et solitaire, Mario -Alfredo Castro, extraordinaire-, employé de la morgue de Santiago, où il rédige consciencieusement les rapports d’autopsie. Non sans être, par ailleurs, amoureux de sa voisine Nancy, une danseuse de cabaret vieillissante, dont il dévore le moindre geste. Fantôme de sa propre existence, n’était une ébauche de relation avec celle-là, Mario traverse les événements à la façon d’un zombie, insensible à une horreur dont la présence se fait pourtant insistante, sous la forme des cadavres toujours plus nombreux que charrie à la morgue le coup de force de Pinochet, dont les échos se font entendre au dehors (et hors-champ); jusqu’à, bientôt, y amener le corps d’Allende lui-même.

Déshumanisation en marche

Etrange autant que fascinant, Post Mortem s’appuie sur une proposition esthétique forte, venue, entre longs plans fixes et teint cireux de circonstance, lui conférer l’allure d’une plongée en apnée dans le Chili des années 70, société sous formol dont le réalisateur pratique l’autopsie à distance. Tout ici suinte littéralement la désolation et la mort, en effet -matérialisation de l’état dans lequel la junte militaire a projeté le pays. A quoi Pablo Larrain ajoute le récit de la déshumanisation en marche, Mario incarnant bientôt, dans l’immensité de son indifférence impassible, le glissement vers une monstruosité que son apparente banalité n’atténue en rien. A preuve, une ultime scène hallucinante qui, faisant converger petite et grande Histoire, donne de l’horreur la vision la plus affolante qui soit, perspective discrètement soulignée par la neutralité affichée de la mise en scène.

Saupoudrant encore son propos d’humour noir et de désespoir kafkaïen, Larrain offre un regard particulièrement pénétrant sur l’Histoire, réussissant à articuler judicieusement les arguments d’une réflexion puissante et d’une vision cinématographique aiguisée. Inconfortable mais plus encore stimulant, son film produit un impact aussi singulier que profond. Une authentique découverte. l

JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS

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