L’AVENTUREUSE ANNIE CLARK, ALIAS ST. VINCENT, SORT UN DISQUE DE FÊTE POUR LES ENTERREMENTS. LE SANG COULE LE LONG DES PINATAS…

C’est l’hiver. Il est passé 19 heures et elle nous attend à l’intérieur, dans le hall du Domenican, l’un des plus beaux hôtels bruxellois. Annie Clark n’en cache pas moins son joli petit minois et ses yeux de biche derrière de grandes lunettes de soleil, rouges comme son bonnet. St Vincent est arrivée des Etats-Unis dans la matinée, enquille les interviews depuis le début de l’après-midi et a dû zapper sa sieste réparatrice, tracassée par la disparition de ses bagages.

L’Américaine, qui était encore au Bozar avec David Byrne et un ensemble de cuivres à l’été dernier, s’attaquera à l’Ancienne Belgique le 17 février avant de publier son quatrième album, encore sans nom quand on la rencontre à la mi-novembre. « Je tenais à enregistrer ma version d’un disque de fête. Quelque chose de dansant, de groovy et d’up tempo mais en même temps de dangereux, détaille-t-elle. Un disque de fête qu’on pourrait jouer dans les enterrements. Avec du sang qui coule le long des pinatas. »

Pour ses funérailles à elle, elle aimerait qu’on passe du Bowie. « La première face de Let’s Dance et la deuxième de Low. » Annie Clark est singulière. Singulière et brillante. Que ce soit dans son approche de la guitare ou sa vision de la musique. « On m’a fait croire qu’on pouvait imaginer ce qu’on voulait exactement créer et lui donner naissance à force de volonté. Mais je pense que la musique a sa manière de te ramener à l’humilité. Ce qui doit sortir sort. Et plus tu te bats, plus elle se rebelle contre toi. Cet album résulte d’un processus extrêmement naturel. Et naturel ne signifie pas sans effort. »

De retour de tournée, Annie avait prévu un peu de repos. Un break de quelques semaines. Après 36 heures, elle ressentait déjà le besoin de faire de la musique. Si elle s’est imposé pendant deux mois de belles et longues journées de bureau -« je bossais tous les jours de 10 h du mat à 7 h du soir« -, tout s’est éclairci lors d’une drôle de promenade naturiste dans les grands espaces texans où elle a grandi, elle, jeune trentenaire née à Tulsa dans l’Oklahoma.

« Ce n’était pas un strip-tease -qui implique forcément la présence de quelqu’un d’autre. J’étais vraiment toute seule. Je suis partie en balade dans le désert. C’était une journée belle et chaude. J’ai décidé de me déshabiller pour ressentir ce que c’était d’être nue, libre au beau milieu de la nature. J’ai croisé la route d’un serpent à sonnette qui m’a fait détaler. Ça m’a inspiré Rattlesnake, un bon moyen de commencer l’album. Une espèce de mythe créateur. »

Iron Maiden, les Polyphonic Spree et Sufjan Stevens

Multi instrumentiste, Annie Clark n’est pas un oiseau tombé du nid. Elle a même énormément bourlingué avant de sortir son premier album solo, Marry Me, en 2007.

La belle a joué ado dans un cover band métal qui reprenait du Iron Maiden. Eté tour manageuse pour le groupe de son oncle et de sa tante: Tuck & Patti. « Cette expérience m’a inculqué qu’une grosse partie du boulot de musicien n’avait rien de glamour. » Et participé à un concert pour 100 guitares de Glenn Branca. « J’étais gamine. J’ai pris mon ampli, ma gratte pourrie. Et j’y ai été. C’est une espèce de chef d’orchestre cinglé. »

Clark a aussi vécu la musique en communauté dans une joyeuse secte chorale, les Polyphonic Spree, et joué avec Sufjan Stevens, l’homme qui voulait enregistrer un disque pour chaque Etat des USA. « Sufjan est un musicien incroyablement brillant. Je le vois comme un grand compositeur. Ce fut des années merveilleuses. J’ai réécouté récemment Come On Feel The Illinoise. C’est un si joli disque. Je suis chanceuse d’avoir pu jouer ces chansons. »

Toutes ces expériences de vie l’ont plus influencée que l’étude de la musique. Fidèle à cette idée que la première chose à faire en sortant de l’école est d’oublier tout ce qu’on y a appris. « Je n’étudiais pas beaucoup. Je n’ai donc pas eu grand-chose à désapprendre, rigole-t-elle. On y entraînait les gens à exister dans une industrie déjà morte. A pouvoir jouer comme l’un ou comme l’autre. A devenir des musiciens de session, mais pas à être soi-même. J’ai davantage appris la musique dans ma voiture en écoutant des disques qu’en étudiant. »

Fan de Robert Fripp (King Crimson) et de Jimi Hendrix, St. Vincent, guitariste résolument aventureuse et moderne, cultive comme eux l’art de la singularité. Intrépide, l’Américaine enfonce les portes d’une autre pop music. Comme elle le démontre avec ce quatrième album accrocheur et explorateur. Pour l’occase, Annie a convié deux batteurs. Homer Steinweiss, membre des Dap-Kings -« on a des amis en commun. On est voisins. Et je voulais une batterie qui ait du groove« -, puis aussi McKenzie Smith de Midlake.

« Il s’agit d’un disque ouvert. Extraverti. L’archétype pour Strange Mercy était une femme au foyer sous barbituriques. Pour cet album-ci, ce serait plutôt un chef de culte dans un futur relativement proche. »

Clark, qui dit avoir écouté du folk turc et Pantera en composant Bring Me Your Loves, et a écrit Huey Newton (l’un des membres fondateurs des Black Panthers) après avoir eu des hallucinations sous somnifères, met avec Digital Witness le doigt sur l’un des maux du siècle: « Nous sommes tous téléguidés par des écrans aujourd’hui. Moi aussi. Plutôt que d’expérimenter nos vies, on a pris l’habitude de les capturer. De les montrer aux autres. Et de s’assurer qu’ils applaudiront pour nous. Tu fais une photo de ton toast au petit déj, tu le postes, 17 personnes l’aiment. Et tu es content de ta journée. Je pense que ce phénomène véhicule la solitude plus qu’autre chose. Il l’incarne, même, quelque part. »

Avant de s’enfuir, St Vincent garantit son disque tout terrain. « On peut l’écouter en baisant, en faisant sa gym ou en pleurant dans sa chambre« , assure-t-elle. Ne vous reste plus qu’à tester.

ST. VINCENT, DISTRIBUÉ PAR CAROLINE/UNIVERSAL.

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