En 2004, les musiciens du Staff Benda Bilili faisaient la manche à Kinshasa. Aujourd’hui, ils tournent dans le monde entier. Un film raconte leur aventure exceptionnelle.

C’était il y a un peu plus d’un an. Le premier CD du Staff Benda Bilili atterrissait dans les bacs. De la rumba blues euphorisante, dégoupillée par un groupe de papys congolais, que la polio a cloués sur des chaises roulantes. Une sorte de Buena Vista Social Club, version Mad Max Kin, mené par Ricky Likabu. A leurs côtés, un jeune soliste, Roger Landu, même pas 20 ans, dont l’instrument se résume à une seule corde tendue entre une boîte de conserve et un manche en bois. Sur Très Très Fort, la vitalité de la musique proposée par le Staff n’est pas seulement confondante: elle a aussi une formidable histoire à raconter. Par exemple, comment le groupe qui passait jusque-là son temps à faire la manche devant les restaurants pour Occidentaux de la capitale congolaise en est arrivé à sortir un CD bénéficiant d’une distribution internationale. Avec de prestigieuses récompenses à la clé, comme celle de « l’artiste de l’année » au Womex, la grand-messe annuelle de la world music.

C’est Crammed, label belge essentiel, qui a sorti le disque. Mais l’impulsion initiale a été donnée par Florent de la Tullaye et Renaud Barret, 2 réalisateurs français. Impliqués dans l’enregistrement de l’album, ce sont eux qui ont « découvert » le groupe et filmé toute l’aventure. Car c’en est bien une -autant pour les musiciens congolais que pour les 2 francs-tireurs européens. Présenté à la Quinzaine des réalisateurs de Cannes au printemps dernier, le film Benda Bilili! ( lire notre critique page 31) avait produit son petit effet. Il sort aujourd’hui en salle et fera office de parfait euphorisant pour passer l’hiver.

De la toundra à Kinshasa

« Il n’est jamais trop tard », chante le groupe. En 2004, de la Tullaye et Barret se cherchent justement un peu. Barret: « J’avais une petite agence de design graphique, ça allait bien. Mais je m’emmerdais.. . La rencontre avec Kinshasa a tout chamboulé. «  Florent de la Tullaye s’est lui lancé dans le reportage photo. « Mes rêves, c’était Magnum, tous les grands héros du photojournalisme. Mais j’arrivais à un moment où ce n’était plus très vendeur. C’était frustrant de passer des mois sur des sujets qui finissaient par atterrir sur 2 pages de magazine. »

Un jour, Renaud Barret se retrouve à Kinshasa . « J’accompagnais ma fiancée de l’époque, qui bossait comme journaliste pour un quotidien français. Entre 2 reportages dans les camps de démobilisation des enfants-soldats, à la frontière du Rwanda, on se repliait sur ‘Kin’. Et on attendait de pouvoir repartir. Parfois une semaine, 10 jours. «  Barret tourne en rond dans son hôtel climatisé. « Finalement, un soir, lors d’un dîner, on rencontre un musicien, qui propose de nous emmener. Et là, pendant 4 jours, et 4 nuits, on se promène dans la ville, à passer de concert en concert, à croiser des artistes incroyables. Je connaissais pas mal de villes africaines, mais là c’était une grosse claque. J’ai envoyé un mail à Florent qui était alors en Sibérie en train de faire un sujet sur les shamans par -30°… On s’était toujours dit qu’on voulait bosser ensemble. C’était l’occasion. Quatre mois plus tard, on s’était acheté des caméras et on partait. Par nos propres moyens, juste comme ça. « 

Sans plan précis donc, ni projet très clair, mais avec l’envie furieuse de plonger dans la marmite kinoise. « On avait une énergie dingue, on ne dormait pas, on filmait la nuit, dans les endroits où l’on n’était pas toujours censé aller. On était frappadingues, complètement hystériques. « 

Un soir, en sortant de l’Ibiza Bar, tout près du Centre Wallonie-Bruxelles, ils tombent sur le Staff. « Très vite, on a compris qu’ils avaient leur répertoire, que le groupe existait vraiment, que ce n’était pas juste des mendiants qui grattaient des morceaux pour gagner un peu d’argent. En fait, le vendredi soir et le samedi soir, ils faisaient la manche devant le restaurant, et le restant de la semaine ils répétaient. Leur public, c’était les gens qui traînaient dans la rue, les enfants, les putes, les soldats clochards, les vendeurs à la sauvette… »

600 heures de rush

Parce que les choses vont vite à Kinshasa, que la vie y est précaire, les 2 Français décident alors d’enregistrer le Staff Benda Bilili. Ils foncent, vont au charbon, y perdant quelques plumes au passage, multipliant les aller-retour entre Paris et Kinshasa. « Au final, le plus dur était la dichotomie entre ce que l’on vivait là-bas, le talent que l’on rencontrait, l’énergie sur place, et la réponse que l’on trouvait en Europe. Les gens ne comprenaient pas vraiment ce qu’on foutait. C’était un dialogue de sourds. Sans compter que, quand vous rentrez, votre vie dégringole. Avant, on vivait plus que décemment. Tout d’un coup, c’est la bohême. Les huissiers, le courrier des banques qui s’amoncelle… Mais on se débrouillait quand même pour repartir, en laissant la merde derrière » (rires).

Cet engagement, cet investissement sur la durée, « nécessaire pour se faire oublier », c’est ce qui a permis de tisser une histoire exceptionnelle, basée sur plus de 600 heures de rush! Loin de tout misérabilisme, le film suit ainsi l’aventure du Staff sur 5 années, des répèts dans le jardin zoologique jusqu’aux grandes scènes des festivals européens. Avec Kin-shasa, mégalopole grouillante et chaotique, en toile de fond. Florent de la Tullaye: « On voulait juste être des passeurs, s’effacer au maximum. » Le résultat en vaut largement la peine. Renaud Barret: « Le Staff nous a parlé comme jamais on nous avait parlé. Ricky nous disait: « Avec vous, on va devenir le plus grand groupe d’handicapés au monde. » Mais nous, nous n’étions rien. En tout cas pas Wim Wenders, ni Ry Cooder. Quand on place cette foi en vous, en vous le répétant plusieurs fois dans les yeux,vous finissez par y croire. Ils nous ont donné confiance, on s’est construit aussi là-bas. Cette ville nous a tout donné. »

Rencontre Laurent Hoebrechts

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