LE SUBURRA DE STEFANO SOLLIMA TRAQUE LA CORRUPTION DU POUVOIR SUR LE MODE DU CINÉMA DE GENRE, PERCUTANT ET STYLÉ.

« C’est un film sur le pouvoir. Sur ses dérives. Sur la corruption minant la société de bas en haut. Ce qu’il montre a toujours existé, à Rome, et existera probablement toujours… » Stefano Sollima avait déjà travaillé avec Giancarlo De Cataldo (sur la série adaptée de son Romanzo criminale en 2006) et avec Carlo Bonini (scénariste d’une autre série intitulée ACAB All Cops Are Bastards, en 2012). Quand les deux auteurs écrivirent ensemble Suburra, le réalisateur en reçut le manuscrit bien en amont de sa parution. Et le travail sur le scénario put démarrer avant même l’achèvement du livre.

« Suburra est un récit choral, avec plein de personnages de milieux très différents que réunit une même soif de puissance et de profit », commente Sollima qui a minutieusement soigné l’aspect réaliste des choses, se documentant abondamment, par exemple sur la sphère intime du pape au coeur du Vatican. L’Eglise n’étant pas épargnée par la folie de l’argent ni les compromissions qu’épingle le film… « L’autre environnement difficile à approcher fut celui des gitans, explique le cinéaste, nous y avons consacré tout un travail qu’on pourrait qualifier de journalistique, même si le film, lui, ne l’est pas du tout. » Les options narratives et esthétiques de Suburra se situent en effet très clairement du côté du cinéma de genre, de ce polar italien nourri à la cruauté stylée du « giallo » et aux rythmes du thriller made in USA, le tout dans « l’héritage d’une tradition réaliste proprement italienne. Je veux toujours m’adresser directement au spectateur, lui offrir du spectacle, des sensations et des émotions fortes, des histoires accessibles, populaires, commente Sollima. Je ne fais pas des films politiques au sens par exemple de ceux de Francesco Rosi (1), même si je les admire. Je me sens plus proche d’un Elio Petri, dont le film Indagine su un cittadino al di sopra di ogni sospetto (Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon, 1970) est un modèle d’utilisation du genre. Le film de gangsters fournit des codes au public, et permet en même temps de dire certaines choses sur la société, de souffler au spectateur: « Regarde! C’est le monde dans lequel tu vis… » Petri l’a fait merveilleusement. Son film a la structure d’un « giallo », et il place au milieu du récit un personnage qui nous emmène à la découverte d’un portrait parfait, totalement exact, de la société italienne de l’époque. Et avec un impact incroyablement plus fort que celui des films contemporains affichant des intentions plus directes. Avec le recul, Enquête sur un citoyen… est un grandissime film politique! »

Film et réalité

Son sujet, le pouvoir, le réalisateur a voulu « l’explorer sous toutes ses formes, à la lumière de relations où les rapports de pouvoir changent sans cesse. Un politicien peut dominer son entourage, ses obligés, mais se retrouver impuissant face à la brutalité d’un voyou de bas étage…: le pouvoir s’exerce et se subit au sein d’un système complexe. Personne dans Suburra n’exerce un pouvoir absolu, même si certains politiques et certains criminels en rêvent. Le pouvoir est toujours relatif. La distance entre le sommet et la chute n’est jamais très grande… Et le film pose la même question à chaque personnage: « Jusqu’où es-tu capable d’aller pour conquérir le pouvoir ou pour conserver celui que tu as? »

La représentation de la violence dans Suburra est précise, évocatrice, les scènes où se commettent des actes terribles sont nombreuses, faisant plus songer au Scarface de Brian De Palma qu’aux polars de Jean-Pierre Melville… « Notre monde est très violent, sa représentation réaliste ne peut que l’être aussi », constate un Stefano Sollima qui embrasse la vocation spectaculaire du cinéma qu’il aime. Fils de Sergio Sollima, réalisateur dans les années 60 et 70 de quelques westerns et thrillers de la meilleure eau, celui qui n’a jamais envisagé de destin hors du 7e art trouve son bonheur dans la création de « fresques au coeur desquelles des touches de réflexion peuvent discrètement être peintes. » Parfois, bien sûr, ces touches apparaissent plus clairement, comme quand la sortie d’un film coïncide avec un scandale proche de ce qu’il montre… « Suburra est sorti juste au moment où éclatait l’affaire baptisée « Mafia capitale » (2), une affaire qui ressemble beaucoup à ce que nous racontons dans le film. On ne sait jamais qui, du cinéma ou de la réalité, va rattraper l’autre… »

(1) RÉALISATEUR ENTRE AUTRES DE SALVATORE GIULIANO (1961), MAIN BASSE SUR LA VILLE (1963) ET CADAVRES EXQUIS (1975).

(2) UN MAXIPROCÈS VOIT EN CE MOMENT UNE QUARANTAINE DE PRÉVENUS (POLITICIENS ET FONCTIONNAIRES CORROMPUS, ENTREPRENEURS ET HOMMES DE MAIN) ÊTRE JUGÉS SUR FOND DE QUESTIONNEMENT DE TYPE « ROME, VILLE POURRIE? » (VOIR LE VIF-L’EXPRESS DU 27 NOVEMBRE).

RENCONTRE Louis Danvers

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