IDOLE DE ZADIE SMITH, ÉPIGONE DE THOMAS PYNCHON, LE LONDONIEN TOM MCCARTHY OFFRE À LA RENTRÉE UNE ÉPOPÉE TOUT EN FANTASMES ET SCIENTIFICITÉ. UN MAGMA ROMANESQUE ÉPOUSTOUFLANT, SOUS L’ÉGIDE DE FREUD, KAFKA ET DAVID LYNCH.

« Quand C est sorti en Angleterre, les critiques l’ont taxé de roman conceptuel. Or, tout est conceptuel, il y a les bons et les mauvais concepts, c’est tout. » Nul doute que Tom McCarthy, quarantenaire londonien, n’a pas fini de se défendre d’une étiquette qui va lui coller au chapitre à l’aube de cette rentrée littéraire. Et pour cause: énigmatiquement titré C, bourré de personnages et d’envolées stylistiques, son roman déplie une expérimentation dévorante le long du XXe siècle et de réseaux multiples, sur 400 pages chargées, époustouflantes. Soit l’épopée de Serge Carrefax, sorte de rencontre impossible entre Sergei Pankejeff, « L’homme au loup », célèbre patient de Freud, et Marinetti, écrivain futuriste fasciné par la guerre et la technologie. Un protagoniste que McCarthy fait naître avec la télégraphie sans fil et grandir dans l’institut pour sourds tenu par son père, avant d’explorer ses destinées successives d’opérateur radio cocaïnomane pendant la Première Guerre mondiale, d’espion, d’égyptologue sur les traces de Toutankhamon…  » Tout est parti d’une exposition que j’ai montée en 2002, pour l’Institut d’art contemporain à Londres, explique l’écrivain qui est aussi artiste. J’y avais créé une station de radio en hommage à Jean Cocteau, à son film Orphée . L’histoire d’un poète qui, une fois mort, transmet des messages courts de l’au-delà. Orphée les reçoit sur le poste de radio de sa voiture, et il se rend compte qu’une seule de ces lignes vaut mieux que toute son £uvre. Pour Cocteau, être un poète ce n’est pas être à l’origine du message, c’est en être le récepteur, le transmetteur. Je suis devenu complètement fasciné par ce film, par cette idée, et j’ai décidé d’en faire une installation. » Et de là, un roman au titre majuscule, aussi abstrait qu’omnipotent.  » Tout d’un coup, j’ai eu la structure de mon roman en tête, son grand arc. J’ai écrit le synopsis en deux pages. J’y parlais de Copies Carbone, de Carrefax, de Cyanure, de Cryptes, de Cocaïne, de Communication. J’y ai donc adjoint la lettre « C » en attendant de trouver un meilleur titre… Et puis je me suis rendu compte que, sur le tableau de Mendeleev, « C » est aussi le signe du charbon, le passé de la vie, le niveau le plus bas et le plus matériel de tout. C’est l’essence de la matière, tout vient de là. » Une initiale qui colle aux profondeurs de l’inconscient autant qu’à celles de l’Histoire, dans lesquelles le roman creuse, non sans en référer à certains maîtres:  » Freud a une pensée très topographique, il place l’inconscient en sous-sol, dans une série de rhizomes souterrains. Kafka parle aussi beaucoup de ça, et David Lynch: en dessous de la maison, de la raison, il y a toujours ce niveau souterrain rempli d’insectes, d’incestes, de vie animale, de secrets, de cryptes. C’est le monde de la littérature. Un réseau de communication où le plus important n’est pas ce qui est dit, mais précisément ce qui ne l’est pas. » Son obsession pour les stratégies de communication, l’histoire de leur invention, McCarthy la place au c£ur de son récit.  » La création de moyens de communication a toujours eu partie liée avec la mort. Alexandre Graham Bell avait deux frères qui sont morts de la tuberculose. Tous les trois, ils s’étaient fait la promesse que le survivant inventerait une machine capable de communiquer avec les disparus. Dès sa création, le téléphone est une crypte, un tombeau. Ça s’est passé un peu de la même manière pour la radio, qui a été mise au point pendant la Première Guerre mondiale, au moment où chacun a perdu un frère, un mari. Les grands hommes de sciences des années 20, bien que foncièrement matérialistes, ont cru que les fréquences d’ondes véhiculaient l’esprit des morts, sur des séquences très fines…  »

Code impossible

Sans surprise, donc, McCarthy fréquente peu les auteurs vivants. Avoue une prédilection pour Derrida, Blanchot, Burroughs ou Robbe-Grillet. Ainsi que pour Thomas Pynchon -rare incursion contemporaine sur sa table de chevet- à qui il est très souvent comparé.  » Le roman anglais contemporain est tombé dans une version très naïve du XIXe siècle. Il semble prendre l’artifice qu’est la littérature pour quelque chose de naturel, alors que les grands écrivains du XIXe ont toujours été conscients de l’inauthenticité de la littérature, Flaubert le premier. La littérature est un code impossible, rempli de fautes, de virus et c’est précisément pour cette raison qu’il est possible d’en faire quelque chose. » A rebours d’une littérature qu’il juge complaisante, McCarthy peine pendant 7 ans à faire publier son premier roman Remainder, unanimement refusé avant d’être repéré par une galerie française pointue, et d’y être distribué comme une £uvre d’art. Un parcours qu’il juge significatif.  » Aujourd’hui en Angleterre, c’est plutôt dans le monde de l’art contemporain qu’on trouve un vrai vivier littéraire. Tous les artistes ont lu Beckett, Faulkner et Pynchon, alors que la plupart des écrivains actuels ne les ont pas lus! Un peu comme si les artistes comprenaient mieux le continuum duquel ils font partie… » Réseaux, embranchements, correspondances, la piste que suit McCarthy lui fait voir de nouvelles déclinaisons, plus que jamais fascinantes, plus que jamais brûlantes, sur cette question quasi psychanalytique de la rencontre entre technicité et fiction:  » L’usage d’Internet s’accompagne aujourd’hui d’un inépuisable lot de fantasmes: chaque recherche qu’on fait est archivée dans un désert, une sorte d’immense Nevada. Plus rien ne disparait. Ce qui est refoulé reviendra toujours nous hanter. » Appuyé sur les couches du passé, composant déjà celles de l’avenir… l

u C DE TOM MCCARTHY, ÉDITIONS DE L’OLIVIER, TRADUIT DE L’ANGLAIS PAR THIERRY DECOTTIGNIES, 428 PAGES.

RENCONTRE YSALINE PARISIS À PARIS

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content