APRÈS DEUX EP QUI ONT FAIT LE BUZZ, LES BRUXELLOIS TRANSFORMENT L’ESSAI AVEC UN ÉPATANT PREMIER ALBUM DE POP IRONIQUE, JOYEUSEMENT DÉVIANTE.

Ils sont arrivés quasi en même temps. Lucien Fraipont, en premier, Gaspard Ryelandt, dans la foulée, traçant à vélo sur le pavé bruxellois. Ils sont venus parler de Robbing Millions, gros buzz indie rock belgo-belge de ces derniers mois. Une belle promesse, attisée par deux EP, et qui se concrétise aujourd’hui avec un premier album, éponyme. Le binôme de quasi-trentenaires se distingue facilement: cheveux mi-longs et regard lunaire pour le premier; sourire carnassier sur fine moustache ironique pour le second. »Mais nous ne sommes pas pour autant un duo », précise Gaspard. Juste le noyau dur du projet, a-t-on cru comprendre. « En fait, hormis Lucien et moi, le groupe a souvent pas mal bougé. Du coup, pour des raisons pratiques, mais aussi pour ne pas trop semer la confusion, et avoir une image fixe, c’est souvent nous qui sommes mis en avant, dans les photos ou les interviews. » Ou même les clips.

Les autres membres sont donc excusés. « Il y a Jakob Warmenbol, un Anversois, à la batterie; aux claviers, Daniel Bleikolm, qui est suisse; et Léo Campbell à la basse, qui vient de Bordeaux », détaille Lucien. Bruxelles, cette capitale des États-Unis d’Europe… D’ailleurs, si Robbing Millions est un groupe made in Brussels (lire aussi le dossier sur les jeunes pousses bruxelloises page 16), c’est plus par son panaché international que par sa mixité linguistique -« on a l’air malin quand on doit donner des interviews en néerlandais », reconnaît Lucien.

À l’instar de l’Union européenne, le groupe a pu aussi passer, parfois, pour une construction un poil artificielle, un montage de musicos virtuoses. La réalité est bien différente. Lucien Fraipont et Gaspard Ryelandt se connaissent en effet depuis un moment. Depuis les primaires en fait: ils n’ont pas huit ans quand ils se lient d’amitié, dans la cour de récré de l’école n°8, à Ixelles. Ils partagent alors la même passion pour Nirvana… Plus tard, alors qu’ils sont ados, il y a un premier groupe commun, « vaguement radioheadisant », la lecture partagée du Rock&Folk, ou des Inrocks, et les visites régulières à la Médiathèque… Internet fera le reste: en 2003, ils ont seize ans et tout un patrimoine musical désormais à portée de clic.

Lucien, en particulier, insiste. Lors d’une académie d’été à Libramont, il tombe sur des guitaristes virtuoses. « J’ai vu des mecs jouer des choses que je ne comprenais pas. » De fil en aiguille, il dévie vers les complexités du prog rock, puis du jazz rock, découvre John McLaughlin ou Soft Machine, avant de remonter le fil jusqu’à Wes Montgomery ou Miles Davis. Après les secondaires, il se retrouve au Jazz studio d’Anvers, passe par le Conservatoire. Ses projets de l’époque se nomment Winchovski ou Zapf. On retombe sur une vidéo du premier via YouTube: de l’impro jazz pure et dure…

À un moment, pourtant, l’histoire déraille. À l’été 2012, il est inscrit à la New School for Jazz and Contemporary Music de New York. Problème: la bourse d’études ne suit pas. Il reste bloqué à Bruxelles. Histoire de tromper la déception et l’ennui, il commence alors à bidouiller des bouts de chansons, à l’aide du logiciel GarageBand. « Quand j’écrivais des compos pour mon propre groupe, il y avait toujours des trucs plus pop qui revenaient, et que je mettais de côté. C’était l’occasion de creuser ça. » Robbing Millions est sur les rails…

Quelques mois plus tard, le premier EP, Ages & Sun, est posté sur soundcloud et bandcamp. Entre-temps, Lucien a rappelé son pote Gaspard, pourtant rangé des bagnoles. « J’étais en train de terminer une BD (Éclosion, parue chez L’Employé du Moi, NDLR). J’avais complètement abandonné la musique. Pour moi, c’était quelque chose de trivial. Le fait est que je n’ai jamais été appliqué. Dans notre premier groupe, je chantais, je faisais le show avec ma petite gueule. Mais c’était un peu facile, un truc de feignasse » (sourire).

La proposition Robbing Millions est cependant tentante. Surtout que les morceaux lâchés sur le Net ont fait leur petit effet. Les potes de BRNS ont partagé (Lucien: « J’avais été voir leur premier concert à l’Atelier 210. Quelque part, c’est eux qui m’ont donné envie d’assumer ce projet »); des pontes du label Pias ont accroché; et les premières propositions de concert ont commencé à affluer. Dour, les Ardentes, bientôt le Pukkelpop; puis le Paléo en Suisse, des dates en France, Allemagne… Gaspard: « Toutes ces aventures rock qu’on lisait dans le Rock&Folk, et qu’on n’avait jamais vraiment eu l’occasion de vivre, se présentaient tout à coup à nous. J’avais envie d’expérimenter ça. »

Après un second EP, Lonely Carnivore, publié en 2014, il ne manquait plus que l’album. Avant même d’être bouclé, il a déjà réussi à les emmener à New York, pour le mixage. Là, ils en ont profité pour s’incruster dans la programmation du CMJ, marathon musical qui convoque des centaines de groupes émergents. « En quelques jours, on a pu donner huit concerts. » Prestations à l’arrache, mais qui réussissent à attirer l’attention de la blogosphère locale, y compris ses membres les plus influents (Consequence of Sound, Brooklyn Vegan…).

Aujourd’hui, tout reste évidemment à faire. L’album éponyme, sorti il y a quinze jours, confirme l’AOC « psyché-pop barrée ». Et, au-delà des références récurrentes à MGMT, un univers intrigant, à l’ironie aussi absurde que mordante (voir par exemple, la vidéo, inquiétante, de Dreams Like Photographs). Let me entertain you, chantait leur quasi homonyme Robbie Williams. Dans ce cas-ci, à vos risques et périls…

ROBBING MILLIONS, ROBBING MILLIONS (7), DISTR. PIAS. EN CONCERT, E.A. LE 31/10, À L’ANCIENNE BELGIQUE, BRUXELLES.

RENCONTRE Laurent Hoebrechts

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