Ysaline Parisis
Ysaline Parisis Journaliste livres

DISCONNECTING PEOPLE – L’AMÉRICAIN TAO LIN INVENTORIE UN UNIVERS DE MARQUES, D’INSOMNIES ET DE MAILS. UN TRIP SANS GOÛT ET SANS COULEUR. CE QUI EN FAIT PRÉCISÉMENT TOUT LE SEL?

DE TAO LIN, ÉDITIONS DU DIABLE VAUVERT, TRADUIT DE L’ANGLAIS (USA) PAR JEAN-BAPTISTE FLAMIN, 320 PAGES.

A la fin de Richard Yates, un index de 12 pages détaille l’occurrence de certains termes dans le récit. Où l’on apprendra que « Samuel Beckett » (2 fois) y est plus cité que « pingouin néo-zélandais » (1 fois), mais moins que « eBay » (7 fois). Une sorte de postface 2.0 qui dit en elle-même toute la teneur décalée d’un roman entièrement tourné vers l’inventaire. Celui, en l’occurrence, du déroulé des infimes et kilométriques conversations virtuelles de Dakota Fanning (rien à voir avec l’actrice), 16 ans, blonde vénitienne boulimique névrosée, et Haley Joel Osment (rien à voir avec l’acteur), 22 ans, autiste vegan et geek névrosé. Nihilistes dépressifs revenus du McDo, ils carburent à la levure nutritionnelle bio, arborent indifféremment une  » expression vaguement neutre sur le visage« , volent des BD de Daniel Clowes dans les librairies et des fringues chez American Apparel, le tout en pensant déjà à ce qu’ils en posteront le soir sur les réseaux: en soi, la définition d’une génération surfant sur une insondable, paralysante mais très tendance solitude. Une inadéquation incarnée par l’étrange Tao Lin lui-même, 28 ans, nouveau prodige des lettres américaines, blogueur hyper connecté mais réel angoissé social, devenu en quelques livres (non encore traduits en français) le romancier attitré des geeks aux USA, et un véritable phénomène adulé ou décrié, mais invariablement discuté, au-delà.

Centre vide

Marchant à la quasi exhaustivité, son roman ne nous épargne pas grand-chose -et ce depuis le nom des protagonistes, systématiquement reportés en toutes lettres avant leurs prises de parole à tour de rôle: Fanning et Osment s’envoient des dessins virtuels de hamsters suicidaires, commentent leurs fautes de frappe pas marrantes, s’envoient des mails en cascades -commentaires de commentaires de mails-, se lancent des petits défis (placer des mots improbables dans chaque intervention d’un chat), recensent leurs visions délirantes qui confinent parfois aux pires répliques de théâtre expérimental ( » Je veux m’endormir sur un tas de riz froid« ) et leur déprime inhérente à une hilarante autodérision glacée:  » On n’a pas besoin de se suicider. Pas encore. Cool. Remis à plus tard. » A lire Richard Yates, à progresser dans cette suite monocorde, apathique et démissionnaire qui suscite si peu d’images mentales, on est passé par d’inévitables et terribles moments d’ennui, et d’agacement. Ce qui n’est pas inintéressant. A vrai dire, il semble qu’avant d’ouvrir Richard Yates, on avait rarement vu d’aussi près le grain de la lassitude et de la vacuité d’une certaine pop culture, et des décalages qu’elle engendre. De la même manière que le récit s’affiche sous le nom d’un écrivain qui n’intervient à aucun moment de son inspiration ou de sa dynamique, on a eu à plusieurs reprises la fascinante impression en le parcourant que le roman était ailleurs, en périphérie du c£ur vide qui nous était donné à lire. A l’image de ses personnages détachés, en train de flotter sur leur vie, l’évitant ou la contemplant sans jamais l’agripper. Entre la causticité d’un Douglas Coupland de Génération X et la platitude d’un annuaire, entre l’hypnotique Haruki Murakami du Passage de la nuit et la tessiture d’un répondeur automatique enrayé, Richard Yates est à l’image de ce texto insomniaque de Dakota Fanning à Haley Joel Osment:  » Ça m’a rendue triste mais c’était peut-être un peu marrant. » Tout à la fois brillant et pathétique. l

YSALINE PARISIS

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