L’ACTEUR ARGENTIN INCARNE AVEC JUBILATION « BOMBITA », UN HOMME AU BORD DE LA CRISE DE NERFS, DANS LES NOUVEAUX SAUVAGES, FILM À SKETCHES EXPLOSIF DE SON COMPATRIOTE DAMIANSZIFRON.

Bien sûr, il y avait eu, auparavant, Nuevas Reinas, de Fabian Bielinsky, ou XXY, de Lucia Puenzo; voire même, pour ceux qui ont la mémoire particulièrement affutée, Les Longs Manteaux, tourné par Gilles Béhat en Amérique latine en 1986, où il avait pour partenaire Bernard Giraudeau. Reste que la carrière de Ricardo Darin n’a vraiment explosé à l’échelon international qu’en 2009, lorsque, la cinquantaine bien frappée (il est né à Buenos Aires en 1957), l’acteur interpréta, tout en charisme et en finesse, le rôle principal de El secreto de sus ojos, sa quatrième collaboration avec Juan José Campanella. Soit un succès critique et public qui allait glaner force récompenses, et jusqu’à l’Oscar du meilleur film étranger, le comédien ajoutant pour sa part un cinquième Condor de plata (les Magritte du cinéma argentin) à sa collection.

En Argentine, plus qu’une star, Darin est une légende en effet, dont la carrière court sur une bonne quarantaine d’années, partagées entre le théâtre, la télévision et le cinéma, et embrassant les genres les plus divers -des soaps de jeunesse, comme La Discoteca del amor ou La Cancion de Buenos Aires, tout un programme, aux drames de la maturité, à l’image des deux films qu’il enchaîna récemment avec Pablo Trapero, Carancho et Elefante blanco. Jérémie Renier, qui fut son partenaire dans le second, tourné dans un bidonville de la capitale argentine, évoquait « une rencontre fabuleuse. C’est un acteur génial qui est considéré là-bas comme une icône, carrément un dieu, et qui le vit avec une simplicité et une douceur exemplaires, dont beaucoup feraient bien de s’inspirer. »

Une espèce très étrange

De fait, l’acteur que l’on retrouve au lendemain de la présentation triomphale de Wild Tales (Les Nouveaux Sauvages) au public cannois, se révèle d’un abord chaleureux, non sans accueillir le succès avec modestie, faisant part de « sa profonde surprise face à une réaction incroyable ». Le film de Damian Szifron (lire son interview page 32) faisait, il est vrai, figure d’ovni dans la compétition cannoise, ne serait-ce qu’en raison de son label de comédie. Ricardo Darin y interprète, avec son aisance naturelle, « Bombita », un ingénieur, expert en explosifs, et bientôt au bord de la crise de nerfs après que sa voiture a été emmenée à la fourrière. Un personnage auquel, sourit-il, il n’a eu aucune peine à s’identifier. « J’ai vécu une situation semblable. Je devais me rendre à la préfecture de police de Buenos Aires pour le renouvellement de mon passeport. Les bureaux sont situés en plein centre, dans un quartier saturé de voitures, mais j’ai trouvé un emplacement de parking avec un parcmètre, et j’ai payé pour deux heures de stationnement alors que la démarche ne devait pas durer plus d’une quinzaine de minutes. » La suite est digne de Franquin, et des mésaventures opposant Gaston Lagaffeà l’agent Longtarin: « Mon ticket était valable jusqu’à 13 h, et à 13 h 01, je me suis précipité pour aller à la voiture, lorsque j’ai vu la grue de la fourrière qui l’embarquait. Je me suis dit: « C’est pas possible, quel salaud! Il s’était caché derrière un arbre? » Il a vu que je fulminais et que j’avais complètement perdu les pédales. Du coup, ils ont reposé la voiture et me l’ont ramenée… »

A l’écran, l’affaire prend une autre tournure, le zèle administratif dont il fait l’objet conduisant « Bombita » aux dernières extrémités, manière aussi d’évacuer un trop-plein de frustrations: « Plus qu’une critique du système capitaliste, le film montre combien, nous humains, nous sommes une espèce très étrange. Nous avons progressé dans bien des domaines, mais poussés à bout, nous perdons tout contrôle. Les Nouveaux Sauvages nous tend un miroir. Jouer constitue une sorte de catharsis. Voilà pourquoi il est intéressant et attirant d’incarner les mauvais dans les films: on peut aller jusqu’au bout des personnages, il n’y a aucune censure… » Et de confier, hilare, attendre ce grand rôle de « méchant » qui le changerait, dit-il, des emplois de pauvre type ou de victime qu’on lui réserve le plus souvent: « Je prendrais ma revanche. »

Darin n’a pas pour autant à se plaindre, ce dont il est le premier à convenir. Sa filmographie en impose, au point d’en faire la figure de référence du cinéma argentin contemporain: « Tout cela change très vite, et c’est fort bien, relativise-t-il. Beaucoup de films se tournent en Argentine, et certains d’entre eux voyagent plus que d’autres. Un acteur peut ainsi se retrouver dans la lumière, mais il y en a beaucoup d’autres qui font de fort bonnes choses, sans bénéficier de la même visibilité. » Quant à son exceptionnelle longévité, il n’en tire aucune vanité, préférant l’envisager sous l’angle de la dérision: « J’ai commencé à travailler à une époque où la planète était bien plus chaude, il y avait même des dinosaures et d’autres bestioles peu ragoûtantes… » Boutade qu’il assortit toutefois d’une réflexion plus sérieuse: « J’ai débuté très jeune à la télévision, mais j’ai aussi beaucoup travaillé au théâtre. Je cherchais le boulot là où il se trouvait. La télévision ne vous laisse guère de temps, il y a là quelque chose d’assez pervers, et le théâtre requiert aussi une grande disponibilité. Le cinéma m’a donc permis d’avoir plus de marge. En Argentine, passer d’une discipline à l’autre est habituel. L’avantage, c’est qu’on s’adapte très facilement. » Alors même que Wild Tales sortira sur nos écrans, l’acteur retrouvera d’ailleurs les planches, à Buenos Aires, pour une reprise de Scènes de la vie conjugale, d’Ingmar Bergman: définitivement polyvalent.

RENCONTRE Jean-François Pluijgers, À Cannes

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