APRÈS PLUS DE QUINZE ANS D’ABSENCE, LEFTFIELD SORT UN NOUVEL ALBUM TECHNO-DUB TOUJOURS AUSSI JOUISSIF. EXPLICATIONS AVEC NEIL BARNES, AVANT LE CONCERT PRÉVU AUX LOKERSE FEESTEN.

La dernière fois? Cela date encore du siècle passé. En 1999 précisément, Leftfield sortait Rhythm and Stealth, le deuxième album du duo british, avant de disparaître plus ou moins des écrans radar. A l’époque, Britney Spears sortait à peine son premier album, Bill Clinton était toujours Président des Etats-Unis, et l’on commençait tout juste à se dépatouiller avec l’euro. Pas encore d’iTunes en vue, ni de MySpace, encore moins de Spotify. Pour tout dire, Napster, tout nouveau système d’échange de fichiers peer-to-peer, venait à peine d’être lancé. Un autre monde…

Seize ans plus tard, Leftfield largue un nouveau disque, Alternative Light Source. Il ne sort pas complètement de nulle part: cela faisait un moment que l’enseigne avait été réactivée, sous l’impulsion unique de Neil Barnes (Paul Daley a préféré s’abstenir). Entre-temps, le nom aurait pu être oublié. Il a au contraire vu son aura grandir année après année, Leftism, sorti il y a 20 ans, gagnant un statut culte. Du coup, Barnes le sait, un nouvel album était aussi attendu que craint. « Si le disque avait été merdique, cela aurait été vraiment embarrassant, c’est certain. En fait, je ne l’aurais pas sorti, c’est tout. Ce qui a failli arriver d’ailleurs. Quand on l’a masterisé une première fois, le résultat était affreux. J’ai vécu les deux semaines les plus déprimantes qui soient. Je suis donc retourné en studio pour changer ce qu’il fallait changer. Des petits trucs parfois: une caisse claire sur Bilocation, ou les basses d’Universal Everything: la première fois, elles avaient explosé les enceintes acoustiques! » Les basses bigger than life, c’est un peu la spécialité maison au point d’avoir un jour fait tomber une partie du plafond de la Brixton Academy…

Le nouveau Alternative Light Source n’a évidemment pas le côté révolutionnaire de Leftism. Mais jamais il ne semble dépareiller dans un paysage musical pourtant profondément bouleversé. Au contraire, le disque sonne même étonnamment pertinent. « Pour m’aider à accoucher du disque, j’ai recommencé à donner des DJ sets, il y a deux ans. J’avais besoin de nourrir le truc. Il n’était pas question de copier, mais de trouver la bonne vibration. Déjà à l’époque, Paul et moi, on passait notre temps à s’échanger nos derniers coups de coeur. Aujourd’hui, il y a toujours des bons disques qui sortent: celui de Holy Herndon, le dernier de Oneohtrix Point Never… »

London calling

Loin des garçons-coiffeurs de la dance actuelle, ce vieux briscard de Neil Barnes a en tout cas toujours des choses à revendiquer. En général, la plupart des gloires nineties passent d’ailleurs plutôt bien l’épreuve du temps. Ces derniers mois, un groupe comme Underworld a fait salle comble en rejouant son classique dubnobasswithmyheadman. Dans un autre genre, les Chemical Brothers maintiennent le niveau (lire critique page 28) et continuent de jouer les têtes d’affiche sur les gros festivals (comme à Werchter). De son côté, The Prodigy a également sorti un nouvel album qui, à défaut de se révéler transcendant, conserve une niaque technopunk réjouissante. Sur l’un des titres de The Day Is My Enemy, le combo faisait notamment le lien avec la scène actuelle en invitant Sleaford Mods, le duo de hooligans rap que l’on retrouve également sur le disque de… Leftfield. « Je les ai appelés, insultés deux, trois fois, et ils ont accepté (rires). Les mecs sont vraiment super. Ils ne trichent pas. Ils jurent comme des charretiers, gueulent, sont dans la confrontation… Il n’y a plus personne comme eux. C’est pas mal de l’ouvrir de temps en temps. Aujourd’hui, dans le music business, tout le monde est très gentil, complètement désespéré de plaire. »

Si les cadors de la scène dance des années 90 comme Leftfield, tiennent toujours leur rang, c’est aussi parce qu’ils n’ont jamais vraiment été remplacés. Les musiques électroniques sont aujourd’hui partout? Certes, mais dans une version EDM de grande consommation, qui n’a plus rien à voir avec l’esprit rave et rock d’avant. « C’est de la pop music générique. Regardez le top 40: mon Dieu, c’est tellement cheesy, affreux. De la grosse merde. Je hais ça. »

Leftfield a beau n’être pas « à la mode », il a su en tout cas rester aiguisé, ne sonnant jamais daté. Peut-être parce que Barnes et Daley ont toujours carburé aux mélanges des genres -bien avant qu’Internet ne banalise le geste. « Si vous êtes vraiment passionné, honnête, cela coule de source. Je ne me suis jamais excusé de la diversité des musiques que je peux écouter. Pour moi, Chic a toujours été aussi important que Joy Division. En soirée, on enchaînait les deux. » Dans ce grand mix, le reggae jouera ainsi un rôle primordial, à côté du punk, de la new wave ou du krautrock allemand (« on nous a toujours vus comme un groupe anglais, mais on a toujours écouté la musique du Continent: Kraftwerk, Goblin ou même les productions d’un label belge comme R&S »). Et puis il y a évidemment le rap -un jour, Barnes tombe sur le Planet Rock d’Afrika Bambaataa: « J’ai flashé. »« Mais c’est ça, la culture de Londres. Déjà gamin, j’allais à l’école à Islington, où se mélangeaient des Blacks, des Asiatiques, très « working class »… Le reggae, le punk, tout était là. Aujourd’hui, j’habite toujours Londres, mais côté Ouest. Je suis le seul Londonien du coin (rires). Les gens sont offensés quand je dis ça. Mais moi, je trouve ça drôle. Vous savez, je suis Juif, mes grands-parents sont arrivés de Pologne. Pourquoi devrais-je être embêté par le mélange? Au contraire, c’est ce qui rend cette ville passionnante et unique. »

LEFTFIELD, ALTERNATIVE LIGHT SOURCE, DISTRIBUÉ PAR INFECTIOUS/PIAS.

8

EN CONCERT LE 7/08, AUX LOKERSE FEESTEN.

RENCONTRE Laurent Hoebrechts

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content