En novembre dernier, Baloji revenait à Kinshasa pour filmer 2 clips de son nouvel album. Moyens serrés, tournage tumultueux, réalisation à l’arrache. Reportage.

Au pied du building Forescom, 2 options: l’ascenseur à la gueule un peu fracassée ou les escaliers qui s’enfoncent dans la semi-obscurité. Le choix est vite fait: il a beau y avoir 9 étages à gravir, on préfère jouer la sécurité dans le premier immeuble construit dans la capitale congolaise, alors qu’elle s’appelait encore Léopoldville. Au sommet, le restaurant Taj Tandoori. Déco bollywood à 2 francs congolais, guirlandes lumineuses aux grosses ampoules multicolores, mais surtout une large terrasse extérieure. Attablés, Baloji et une partie de l’équipe du clip soufflent après la première journée de tournage. La tension se relâche, enfin. La soirée est douce, le panorama splendide, avec la ville à perte de vue, léchée à droite par le fleuve. Bizarrement, tout semble particulièrement calme vu d’ici. Pas de bruit de circulation, pas le moindre klaxon, ni sirènes de police ou d’ambulance. Pour un peu, on croirait que Kin la frénétique a fermé boutique pour la nuit. Vraiment? La bonne blague…

Quatre jours plus tôt. Arrivée en soirée, à l’aéroport de Ndjili. Salle des bagages sous speed, route défoncée, à peine éclairée. « Bienvenue à Mad Max Kin », rigole Baloji. Ce surnom, il a pu encore en tester la pertinence l’après-midi même, lors de repérages pour le tournage des clips. « On est allé sur d’anciens chantiers navals. C’était hallucinant. » Avec lui, le photographe Kurt Stallaert: « En fait, on s’est retrouvé au milieu d’une communauté, qui s’est fixée dans le chantier. Les gens ont investi les épaves, en installant par exemple leurs paillasses dans les cales des navires. » L’attroupement se fait autour des visiteurs. D’abord bon enfant. « Mais on a senti que la tension montait petit à petit. » Certains ne voient plus d’un bon £il la présence d’un photographe. La troupe devra presser le pas, avant de courir pour rejoindre le véhicule qui démarre en trombe. « Les mecs s’accrochaient à la bagnole! » Cela promet. Rien n’est simple au Congo, et certainement pas filmer. C’est pourtant bien dans la capitale congolaise, que Baloji a décidé de tourner les 2 clips qui accompagneront la sortie de son nouvel album. Un choix logique: c’est aussi ici qu’il a enregistré Kinshasa Succursale.

Le disque succède à Hotel Impala, premier album solo sorti en 2007. Sur fond de rap, soul, reggae, afrobeat, Baloji y mettait en musique son parcours – celui d’un gamin né en 1978 à Lubumbashi, que son père embarque sans prévenir pour la Belgique quand il n’a que 3 ans. Une « auto-biophonie » qui tentait autant de démêler le sac de n£uds familial que de renouer avec les racines africaines. Du coup, quand un an plus tard le KVS (Koninklijke Vlaamse Schouwburg, le Théâtre royal flamand, ndlr) propose à Baloji de monter un concert à Kinshasa, il n’hésite pas longtemps. « Je me suis dit qu’on pourrait en profiter pour réenregistrer Hotel Impala sur place, à la congolaise. Je suis fan de Soulwax et de leur Nite Versions , l’album de remixes qu’ils ont fait de leur propre disque. J’aime l’idée de pouvoir revenir sur les chansons avec plus de recul. »

A l’automne 2008, Baloji débarque donc avec l’équipement nécessaire et l’installe dans un ancien studio d’enregistrement de la RTNC, la radio-télévision nationale congolaise. Il rassemble des musiciens locaux, et baptise la formation l’orchestre de la Katouba, du nom du quartier de Lubumbashi où vit toujours sa mère. En 5 jours, il enregistre 15 titres… Au retour, la maison de disques, peu convaincue dès le départ, ne cache plus son scepticisme. « Ils attendaient un truc à la Magic System. Au final, le projet est trop africain pour eux. » Peu importe. Baloji persiste et signe. Et décide donc d’aller tourner 2 clips à Kin. Le label n’est pas au courant. Mission commando.

C’est que Kinshasa bouillonne et ne se laisse pas man£uvrer facilement. Capitale de 10 millions d’habitants, elle est à la fois une exception et le symbole même d’un pays dépecé par la dictature mobutiste, avant d’être ravagé par la guerre et l’instabilité politique. Certes, depuis les dernières élections, les robinets des grandes institutions financières se sont lentement rouverts. Les Chinois ont également débarqué. On les retrouve au volant des pelleteuses qui rénovent le boulevard du 30 juin. Symbolique: les chantiers navals historiques de Chanimetal, installés à l’endroit-même où a débarqué Stanley au XIXe, viennent de passer un accord de distribution avec Sany, le Caterpillar chinois. Ailleurs, c’est encore la construction par un consortium indien d’une tour hypermoderne qui est annoncée. Un building futuriste qu’on imaginerait bien s’élever du côté de Dubaï. A un détail près, le nom du projet: Modern Titanic… Comme si le Congo n’avait pas eu son lot de naufrages. D’ailleurs, certaines artères ont beau avoir été réasphaltées, la circulation reste toujours aussi anarchique. David, chauffeur de taxi: « Les feux? C’est simple: quand c’est vert, on passe. » Et quand c’est rouge? « On passe aussi! » Autre règle implicite: si possible, ne pas s’arrêter aux injonctions de la police. Comme dans cet autre taxi, qui pour semer la maréchaussée, se pique de rouler à contresens… Kinshasa? C’est plus fort que toi…

Magie noire

Dans ces conditions, le tournage se fera en permanence en dérapage plus ou moins contrôlé. Avant même de commencer en fait, il est au bord de la sortie de route. Les coûts sont plus importants que prévu. La prod’ patine avec les contingences congolaises. Les relations avec l’équipe locale se crispent un peu plus chaque jour. Ambiance… Déjà la première journée n’est pas la plus simple à organiser. Elle donne cependant de beaux résultats. Pour la vidéo de Karibu Ya Bintou, l’équipe a installé un ring au c£ur d’un quartier populaire. Y est prévue une scène de catch, annoncée par une fanfare montée sur un pick-up. Quand on inspecte les lieux une première fois, les lutteurs ne sont pas encore là, mais l’arrivée du fameux Sybolite est déjà annoncée. Sybolite? « Parce que quand il donne un coup, c’est comme s’il en donnait six! », s’enthousiasme la petite Grâce, visiblement fan du catcheur au masque léopard. Quelques heures plus tard, la grande foule s’est amassée. Parmi elle, se faufilent des squelettes -raccord avec l’univers vaudou du titre, porté par la transe électrique des likembe de Konono n°1. Les combattants arrivent. Tendus, écrasés par une chaleur suffocante, les réalisateurs Spike & Jones (en fait, Xavier et Sébastien) savent que la marge de man£uvre est limitée. Ça passe ou ça casse. Cette fois-ci, la magie opère. Le lendemain, c’est au tour d’ Indépendance Cha Cha d’être filmé. Les ventilos du Hewa Borra ont beau tourner à plein régime, le bar est une vraie étuve. Pour l’occasion, de vieux papys congolais composent l’orchestre de la Katouba. Sur le côté, des filles en jupe volante et des jeunes hommes en casquette. Ambiance Buena Vista Social Club. Et le plan de se dérouler sans accroc.

Chaque jour contient cependant son lot de surprises et de problèmes de dernière minute. Les coûts, eux, continuent d’exploser. Au soir du troisième jour, c’est la crise. Stop ou encore? « La maison n’accepte pas l’échec », chante Baloji. Finalement, l’équipée repart. Toujours secouée: la productrice est off pour la journée, le régisseur au bord de la crise de nerfs, tandis que la styliste tombe malade. Le dernier jour, c’est au tour du caméraman de plier sous la fièvre. Nicolas Karakatsanis: « Mes intestins commençaient à se vider… J’ai accompagné l’équipe, mais à un moment je n’en pouvais plus. C’est Sébastien qui a par exemple filmé toute la scène du baptême dans le fleuve. » Le caméraman était déjà venu une première fois au Congo avec Baloji. « C’était pour le clip de Tout ça ne nous rendra pas le Congo. On l’a tourné à Lubumbashi. Mais Kinshasa, c’est 10 fois plus compliqué. Tu as beau avoir tes idées de base, 9 fois sur 10 il faut quand même improviser avec les circonstances du moment. En contrepartie, tu peux aussi tomber sur de très belles choses. Visuellement, il y a plein à prendre. »

Jusqu’au matin du départ, l’équipe tourne encore. Mais le résultat est là. Au bout de 5 jours, les 2 clips sont mis en boîte. Ce qui n’était pas franchement gagné. On se demande même toujours comment tout cela été possible. Il y a bien cette hypothèse: avec le morceau Karibu, Baloji revenait sur l’origine de son prénom. En tshiluba, il signifie en effet « sorcier ». Tout s’explique…

Baloji sera en concert le 20/02, à l’ Ancienne Belgique, Bruxelles; et le 1/04, à la Ferme du Biéreau, à Louvain-la-Neuve.

www.baloji.com

Les clips de Karibu Ya Bintou et Indépendance Cha Cha sont à visionner sur W ww.focusvif.be

Texte laurent hoebrechts , à kinshasa / photos kurt stallaert

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