RENAISSANCE DE BORO

La Bête

L’oeUVRE FIÉVREUSE, INVENTIVE ET VOLONTIERS PROVOCATRICE DU CINÉASTE POLONAIS WALERIANBOROWCZYK RESSUSCITE DANS UN COFFRET PASSIONNANT.

Walerian Borowczyk se levait au petit matin, durant le tournage des scènes très chaudes qui allaient composer le segment La Bête de ses Contes immoraux,puis en être retiré pour constituer la matière d’un long métrage à part entière et sous le même titre. Si le cinéaste mettait son réveil un peu plus tôt, c’était pour concocter dans sa cuisine une petite préparation des plus particulières. Avec de la farine, du blanc d’oeuf et de la maïzena, « Boro » réalisait le mélange qui allait servir à figurer… le sperme de la « Bête », utilisé d’abondance dans des plans restés fameux! Un détail de l’Histoire du 7e art, sans aucun doute, mais de ceux qui en disent long. Car il exprime tout à la fois le caractère résolument artisanal d’un créateur hyperactif mettant la main à tout, et d’un artiste audacieux, n’hésitant pas à provoquer.

Le très beau et passionnant coffret qui lui est aujourd’hui consacré par l’éditeur Carlotta (1) remet en pleine lumière une oeuvre singulièrement fascinante, méconnue malgré les quelques succès populaires qu’elle a connus à l’époque où l’érotisme s’extrayait du ghetto du film X pour s’imposer sur les écrans des grands circuits commerciaux. D’où le malentendu qui accompagne encore la réputation du cinéaste, onze ans après sa mort. Une image que la forte présence du sexe dans Contes immoraux (1974, l’année d’Emmanuelle), La Bête (1975) et quelques autres films « osés » aura réduite à une étiquette dont Boro se défendait autant que possible. Comme dans les extraits d’interviews repris dans les bonus du coffret, où il finit par lâcher un définitif « mais au fond, qui n’est pas pervers?! »

Si les deux films précités sont évidemment repris dans l’ensemble de huit DVD et trois Blu-ray discs (plus deux livres), ce sont d’autres trésors qui s’y révèlent en premier. À commencer par les courts métrages, un format que le cinéaste ne cessa de pratiquer depuis ses débuts dans sa Pologne natale jusqu’au milieu des années 80 dans son cadre d’adoption, la France. C’est en 1958 que le peintre et graphiste devenu réalisateur installa ses pénates à Paris. Et dès l’année suivante débutait le merveilleux cortège de courts sujets dont Les Astronautes (1959), Renaissance (1963), Les Jeux des anges (1964) et Gavotte (1967) sont parmi les plus marquants. Borowczyk y cumule spectaculairement les différentes techniques de l’animation (la stop motion, le dessin, la gravure, les collages) et les prises de vue réelle. Le tout avec cet « humour qui n’est pas vraiment pour rire » dont il se revendique. Tout comme il ne peut nier sa proximité avec les surréalistes (Max Ernst), les dadaïstes (Jarry), Kafka et le théâtre de l’absurde (Beckett). Des résonances qui ne l’ont pas empêché de « développer son étrangeté légitime« , comme y invitait le poète surréaliste René Char. Stagiaire sur Blanche, long métrage médiéval de 1971, Patrice Leconte parle d' »un cinéaste très à part« . Et Terry Gilliam, amoureux fou des courts métrages de Boro, célèbre « une animation comme habitée de colère, brillante et très sexuelle« . On ne fut pas surpris de voir, en 1974, Contes immoraux remporter à la Cinémathèque de Bruxelles l’alors très renommé Prix de l’Âge d’or. Une récompense faisant référence au film fulgurant de Luis Buñuel (L’Âge d’or, 1930), et signalant une oeuvre « qui par l’originalité, la singularité de son propos et de son écriture, s’écarte délibérément des conformismes cinématographiques« .

Subversion

Il n’est pas non plus étonnant de voir en tête de générique de nombreux films de Boro la chouette iridescente du logo d’Argos Films, la société de production d’Anatole Dauman, compagnon de route d’Alain Resnais, de Chris Marker et de Jean-Luc Godard avant d’entraîner le Japonais Nagisa Oshima dans l’aventure ouvertement -et génialement- sexuelle de L’Empire des sens, sorti un an après La Bête. Ces deux-là ne pouvaient que s’entendre, épris qu’ils étaient de subversion nécessaire face à une morale dominante conduisant tant d’autres à une triste autocensure. Les perles du coffret témoignent de cet esprit rebelle. Le bunuélien La Bête, bien sûr, où la force du désir féminin, ses fantasmes bousculent l’ordre établi par les hommes. Mais aussi et peut-être surtout deux films moins connus. Histoire d’un péché (1975) d’abord, seul long métrage polonais de Boro, à l’héroïne tragique et entièrement tourné caméra à l’épaule pour mieux épouser la trajectoire d’une femme passionnée, passionnante, défiant l’hypocrisie (encore vive aujourd’hui) d’un catholicisme oppressant. Et puis ce Dr Jekyll et les femmes réalisé en 1981 et où se voit revisité de fascinante manière le récit fantastique du romancier Stevenson. Le sexe et la mort étant indissociables dans ce film certes inégal (le génial y côtoie le grotesque), mais offrant plusieurs séquences soufflantes d’audace et de poésie noire, vénéneuse en diable. Walerian Borowczyk méritait bien l’hommage de cette édition soignée, riche en suppléments où sont entre autres évoqués ses rapports difficiles avec des acteurs vivant mal les directives permanentes du réalisateur. Lequel ne pouvait s’en empêcher, lui qui fabriquait lui-même les accessoires pour ses films, et en repeignait aussi les décors quand la couleur n’était pas à son goût. L’artiste et l’artisan, aimant que « la matière résiste », ne faisaient qu’un!

(1) ON NE DIRA JAMAIS ASSEZ À QUEL POINT LE TRAVAIL DE CETTE MAISON FRANÇAISE EST EXEMPLAIRE, TANT SUR LE PLAN DE LA RESTAURATION DES FILMS QUE SUR CELUI DES SUPPLÉMENTS, AUSSI NOMBREUX QU’ÉCLAIRANTS!

TEXTE Louis Danvers

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content