L’INTENSE ACTEUR D’ORIGINE ALGÉRIENNE A RETROUVÉ SES RACINES EN TOURNANT LOIN DES HOMMES.

C’est une des « gueules » les plus frappantes et les plus intenses du cinéma français de ces dernières années. Regard soutenu dans un visage de boxeur, silhouette féline, Reda Kateb a capté l’attention dès son premier film, le formidable Un prophète de Jacques Audiard, en 2009. Depuis, le talent du jeune acteur français d’origine algérienne (par son père) s’est illustré notamment dans les remarquables Qu’un seul tienne et les autres suivront de Léa Fehner et Le monde nous appartient de Stephan Streker, sans oublier Les Garçons et Guillaume, à table! de Guillaume Gallienne. Il a aussi campé un suspect soumis à la torture dans Zero Dark Thirty de Kathryn Bigelow, et on le verra cette année dans le nouveau Joachim Lafosse Les Chevaliers blancs, et dans la première réalisation de Ryan Gosling Lost River. Aujourd’hui, Kateb partage l’affiche de Loin des hommes avec Viggo Mortensen (lire la critique page 35). Un film adapté d’un texte d’Albert Camus. Il y incarne un villageois algérien accusé de meurtre et qu’un instituteur occidental va devoir, en ces tumultueuses années 50, préserver tout à la fois de villageois vengeurs et de colons français hostiles.

« Pour moi ce n’est pas un film de plus, un film comme les autres« , déclare celui qui est le fils de Malek-Eddine Kateb, acteur et metteur en scène de théâtre algérien émigré en France, mais aussi le petit-neveu du grand poète berbère Kateb Yacine et de l’homme de théâtre Mustapha Kateb. « J’essaie toujours d’aller vers des films qui comptent, où je peux avoir le sentiment, sinon de me réinventer, au moins de réinventer mon amour pour ce métier, poursuit le comédien de 37 ans. Mais ce film-ci a quelque chose de particulier: il est différent, pour plusieurs raisons d’ordre affectif. Il y a d’abord le fait de jouer dans ce dialecte algérien que j’ai en moi mais que je ne parle pas couramment. Le travail de préparation des dialogues m’a permis (avec deux coaches) de renouer avec mes racines. Je me suis aussi plongé dans les archives -et même le cinéma de fiction- des années de la Guerre d’Algérie. Dans un de ces films, Les Hors-la-loi de Tewfik Farès, j’ai vu mon père jouer, à 30 ans, lui que je n’avais connu que dans l’exil en France…. Ce furent des échos très forts! Le travail d’acteur est une manière de se découvrir. Et quand il y a de pareilles résonances, c’est que le voyage vaut le coup. »

Le tournage de Loin des hommes fut une expérience émouvante pour Reda Kateb. « Marcher dans ces paysages, tous les jours, durant deux mois et demi, fut quelque chose de fort, se souvient-il. Viggo et moi nous faisions de longues promenades, à Ouarzazate, chacun de notre côté. De temps en temps, on se croisait… » De son travail avec l’Aragorn de The Lord of the Rings, Kateb dit qu’il fut marqué d’emblée par « un apprivoisement réciproque, suivi d’une complicité, d’une authentique camaraderie« . L’acteur français a dû « mettre de côté » la grande admiration portée à son partenaire, afin de pouvoir l’aborder « d’égal à égal« . David Oelhoffen, le réalisateur du film, en parle comme de »l’histoire d’une fraternité« .Kateb précisant que « ce n’est pas une fraternité peace and love, c’est un rude itinéraire, à marcher épaule contre épaule, avec nos différences mais le même code de valeurs. Viggo n’est pas qu’un acteur, c’est un être engagé, un humaniste! »

Vivre de ses rêves

Reda Kateb ne se revendique d’aucune méthode particulière, mais il se décrit comme un bosseur. « Il y a toujours beaucoup de travail, explique-t-il, y compris un travail physique avec ce corps qui est notre instrument. On ne peut pas travailler avec son seul visage, même si c’est lui que la caméra va souvent chercher. Une allure, une respiration, peuvent aussi être cruciales. Si j’ai marché pendant des heures en préparant Loin des hommes, c’est parce qu’après une très longue marche votre corps en acquiert une sorte de patine, et vous vous déplacez à un rythme différent -choses qui vont servir le personnage, le film. » S’il éprouve du plaisir à l’approche d’un rôle, et aussi à le quitter à la fin d’un tournage, Kateb aime surtout le « pendant », « ces jours et semaines passés avec le personnage qui est comme une ombre qui vous suit partout…  »

Le choix de devenir acteur, comme son père et un de ses grands-oncles, ne s’est imposé qu’une fois réalisé « que le désir qui m’animait était le mien propre« , et formulé « la volonté de le faire à ma manière« . Etre baigné très tôt dans un monde de théâtre aura créé, pense-t-il, des prédispositions. « Mais cela aurait pu aussi, tout au contraire, m’inspirer un rejet, me pousser à vouloir vivre autre chose. » « L’important, c’est de pouvoir rêver, et vivre de ses rêves!« , conclut-il sur ce point. Rêver, Reda Kateb put le faire dès son premier film. « Sur le tournage d’Un prophète, avec Tahar Rahim dont c’était aussi le tout premier film, on devinait que quelque chose de spécial se passait. A l’énergie énorme de toute l’équipe, on pressentait que ce ne serait pas un film comme les autres. Nous n’avions bien sûr aucune idée de l’impact qu’il allait avoir sur les gens, mais on percevait un souffle… »

A la différence de nombreux collègues, le natif d’Ivry-sur-Seine n’éprouve aucune difficulté à se regarder à l’écran. Il y trouve une occasion d’apprendre, dans une démarche qu’il veut « artisanale autant qu’artistique; artisanale, car on veut bien faire son travail, être en place quand il faut, être réglo avec les partenaires, et artistique, parce que ce qu’on recherche, c’est quand même le vertige, ce supplément qui fait que l’on vit un peu plus, et qu’on rentre le soir avec des étoiles plein la tête! »

RENCONTRE Louis Danvers

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