DANS UNE FICTION ANCRÉE DANS LA RÉALITÉ, XAVIER DURRINGER REVIENT SUR LA MARCHE SUR L’ELYSÉE DE NICOLAS SARKOZY. UNE PLONGÉE DANS L’ARRIÈRE-COUR DE LA POLITIQUE SPECTACLE.

« La politique n’est plus un débat d’idées, mais une foire d’empoigne où l’on réclame en permanence du pain, des jeux et des boucs émissaires.  » Enoncée par Alexis de Tocqueville au XIXe siècle, la formule aurait tout autant pu servir d’exergue à La conquête, le film de Xavier Durringer retraçant la marche de Sarkozy sur l’Elysée -vocabulaire militaire de circonstance, tant ce que donne à voir le réalisateur, c’est une guerre fratricide où l’on s’affronte, au sein d’un même camp, par petites phrases assassines (il y en a un florilège) et autres coups tordus interposés, avec le pouvoir en ligne de mire.

Si la sortie du film a été encadrée du plus grand secret, on y verra surtout le fruit d’une stratégie avisée. Sans pouvoir être taxée le moins du monde de complaisance, l’image que renvoie La Conquête de Sarko ne fait jamais que s’ajouter à celle d’un président qui a fait de la surexposition médiatique une règle cardinale. Du reste, ce dernier a-t-il jusqu’ici joué la carte de l’indifférence, fut-elle feinte -ce pour quoi son meilleur ennemi, Jacques Chirac, avait trouvé une image définitive que le film ne se fait faute de resservir: « Ça m’en touche une sans faire bouger l’autre. »

Cela posé, et si l’exercice porte en lui-même ses limites, l’intérêt de cette fiction ancrée dans la réalité n’est pas contestable pour autant. Moins porté que ses homologues anglo-saxons sur la chose politique, le cinéma français ne s’était a fortiori jamais intéressé à un président en exercice. Evolutions du paysage médiatique aidant, La Conquête pourrait annoncer une nouvelle tendance -il ne faudra d’ailleurs attendre que quelques jours pour découvrir de quel bois se chauffe Pierre Schöller avec L’Exercice de l’état. Quant à Xavier Durringer, metteur en scène venu du théâtre, avant de réaliser des films comme J’irai au paradis car l’enfer est ici, ou encore Chok-Dee, il évoque au téléphone les tenants et aboutissants d’un projet gonflé…

On ne vous attendait pas spécialement sur ce terrain. Qu’est-ce qui vous a convaincu de vous colleter avec Nicolas Sarkozy?

Ce n’est pas se colleter avec Sarkozy, c’est se colleter avec un sujet sur la conquête politique. J’ai fait des films noirs, j’ai fait des films d’hommes, et j’avais l’impression de ne pas être trop loin de mes univers. Deux pôles m’intéressaient fortement dans le scénario: celui du rapport à la représentation médiatique, la pipolisation, la surmédiatisation, et le « storytelling », l’art de se mettre en scène, et de mettre en scène sa propre vie devant les caméras, avec ce que cela a de théâtral. Et il y avait l’aspect noir aussi, pyramidal, le chef, avec des porte-flingues, une bande autour de lui. Cela m’intéressait, et j’aimais aussi beaucoup la langue, avec des dialogues proches des univers à la Audiard. Ensuite, on trouvait l’histoire complètement romanesque avec Cécilia, où la réalité est plus forte que la fiction. Et puis, il y avait la question morale et éthique, le challenge incroyable d’avoir à faire ce film, c’est-à-dire d’être les premiers à faire un film sur un président en exercice.

Un film comme La Conquête a-t-il été rendu possible par le fait que Sarkozy a fait de la présidence une sorte de reality show?

Certainement. Son « storytelling » nous a permis d’avoir énormément d’images de lui, recouvrant aussi bien sa représentation politique que sa représentation intime ou émotionnelle. Il y a une matière énorme: partout où il allait, il y avait toujours 2 ou 3 caméras. Nicolas Sarkozy a véritablement changé le rapport des médias avec le monde politique. Bizarrement, on vote pour celui qu’on voit le plus à la télé, lequel n’est autre que celui qui a le pouvoir d’accéder à l’image et à la communication.

Votre film va au bout du postulat voulant que la politique soit devenue un spectacle. Quel est votre sentiment à cet égard?

On pourrait sortir La Société du spectacle de Debord. On est au bout, aujourd’hui, de la représentation médiatique. C’est un spectacle, d’un certain côté, mais il ne faut pas oublier tous ces politiques qui, parfois dans l’ombre, dans l’anonymat, travaillent dans les municipalités, les régions, ceux qui £uvrent à construire un monde meilleur. Là, ce n’est pas un film sur la politique, c’est un film sur la conquête politique. Et comment, au sein d’un même camp, on va s’entretuer pour pouvoir atteindre la charge suprême. Pour moi, le film n’est pas une critique du monde politique, il doit plutôt la remettre au c£ur des discussions que pourront avoir les spectateurs en sortant.

Le film va vers la fiction, mais jusqu’où avez-vous été nourri par un souci documentaire?

Le film est, à 99 %, juste politiquement. Patrick Rotman, le scénariste, a travaillé sur une centaine de livres, le plus souvent écrits par des journalistes politiques, des politiques eux-mêmes, ou des conseillers dans l’entourage politique. On a fait une synthèse de cette centaine de bouquins, de milliers d’articles de presse, de rencontres avec Michaël Darmon, le journaliste politique de France 2 qui a suivi pendant 5 ans la campagne de Sarkozy, et qui a participé à l’élaboration de ce sujet. Souvent, ce qu’on voit à la télé, ou dans les magazines, c’est une image, une photo, ou une minute 30 de sujet. Ce qui est intéressant, c’est de traiter ce qui se passe 5 minutes avant ou 5 minutes après. Chirac qui a une attaque cérébrale, tout le monde est au courant, mais on ne sait pas ce qui s’est dit entre Villepin et lui, ni que Sarkozy chantait, le soir même devant des journalistes: « Quand je serai président de la République ». Le film est là, et rentre dans des intimités beaucoup plus précises de ces personnages.

Avez-vous hésité à garder les noms des protagonistes?

Non, le film ne se faisait qu’à cette condition. A partir du moment où on a décidé de le faire, on s’est dit qu’il fallait passer au-dessus de la loi de protection des personnes, et s’inscrire dans la lignée de ce qu’il faut faire aujourd’hui, à l’image des Anglo-Saxons, ou de films comme Le Caiman ou Il Divo, en Italie. Il faut se décider à prendre des risques, parce qu’avoir ce genre de cinéma est important, cela me manquait. J’espère que nous sommes les premiers, et que nous allons ouvrir la porte à d’autres réalisateurs qui pourront raconter des histoires que l’on a voulu occulter depuis des dizaines d’années.

Comment expliquez-vous que le cinéma français se soit défié de ce type de sujet auparavant?

Nous avons un bon système de production de cinéma, mais qui dépend énormément de chaînes de télévision institutionnelles, publiques, avec de l’argent public. A partir de là, il est très difficile pour certaines d’entre elles de prendre des décisions sur des films comme celui-là. Deuxièmement, il y a toujours une chape de plomb sur les histoires de France et les affaires. Il y a eu, dans les années 70, des films politiques, faits par Costa-Gavras et d’autres. Plus tard, Le bon plaisir, de Francis Girod, parlait de Mitterrand et Mazarine, mais seuls les initiés le savaient, les gens pensaient que c’était de la pure fiction. Il y a donc ce protectionnisme très fort, et puis la loi de protection des personnes. Avec des avocats, on a dû bétonner de partout, et tenir le scénario le plus secret possible pendant toute la durée de préparation et du tournage.

Nicolas Sarkozy occupe le terrain médiatique pratiquement sans discontinuer. Vous ne craignez pas l’overdose?

Non, parce que je pense que les gens veulent savoir de l’intérieur ce qui s’est passé. Et qu’ils seront surpris par les petits mots, les petites phrases, et de pouvoir rire du pouvoir. Le film est comme une catharsis. Même si on rejette un peu tout ça, ce genre de choses surmédiatisées en ce moment, on a envie de savoir ce qui se passe de l’intérieur…

ENTRETIEN JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS

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