Le sujet de prédilection de la fiction? On vous le donne en mille: la réalité! Rien de vraiment nouveau sous le nuage de cendres. Sauf que la marche du monde, si elle a toujours fait galoper l’imaginaire, prend le pas aujourd’hui sur la fantaisie pure. La faute à la purée de pois sociale, aux crises d’épilepsie des marchés, à un futur aussi bouché que le ring de Bruxelles à l’heure de pointe, qui rendent dérisoire le superflu et renvoient les distractions à des jours meilleurs. C’est un peu comme quand il y a un bruit bizarre dans un avion, impossible de se concentrer sur autre chose… Cannes est un bon baromètre de cette emprise du réel sur la création. Déjà l’an passé, on avait eu droit à quelques tirs de semonce avec Un prophète et Le Ruban blanc. Deux constats d’échec. A empêcher un petit délinquant de virer bandit des grands chemins d’un côté, à enrayer la machine infernale à fabriquer de la haine de l’autre. Cette année, c’est carrément un tir de barrage sur la Croisette. Avant même que le premier flash ne crépite, 2 films-brûlots boutaient déjà le feu au tapis rouge. L’un en France, l’autre en Italie. L’un en sortant du placard de la république le cadavre de la guerre d’Algérie ( Hors-la-loi de Rachid Bouchareb), l’autre en décapsulant les magouilles de Berlusconi après le séisme d’Aquila ( Draquila de Sabina Guzzanti). Preuve que les réalisateurs sont entrés en résis-tance. Contre la barbarie, la mémoire trafiquée, les injustices, les affabulations, les mystifications… L’actu leur donne du combustible. Des profondeurs du Golfe du Mexique aux scènes de guérilla dans les rues de Bangkok, chaque jour qui passe écrit à l’encre noire ou rouge des scénarios en puissance. Devant cette avalanche de films sous perfusion (citons encore Carlos, le biopic d’Olivier Assayas consacré au terroriste, Biutiful, le voyage dans l’envers de Barcelone du génial Inarritu, ou encore Wall Street 2, l’état des lieux (du crime) de la finance du toujours très énervé Oliver Stone), certains évoquent le retour du cinéma engagé. Ça y est, le mot est lâché. Ou plutôt réhabilité. Las de rester au balcon alors que ça pète en bas, les artistes se retroussent les manches et se jettent dans la mêlée. Il faut nuancer. D’autres n’ont pas attendu 2010 pour allumer la mèche de la contestation (de Costa-Gavras à Michael Moore en passant par Ken Loach ou Mike Leigh). Mais il est vrai que les haut-le-c£ur se multiplient. Et font d’ailleurs tache d’huile. La déglingue, le malaise, l’incertitude se répandent aussi dans les théâtres (Kunstenen tête), innervent la bande dessinée (Guy Delisle et la Birmanie, Joe Sacco et le conflit israélo-palestinien…) ou ensemencent la littérature (Rufin, Semprun, Moore, Vollmann…). C’est un mouvement général. Certains dénoncent l’incurie, d’autres remettent les pendules historiques à l’heure. Les voix des artistes se joignent à celles des sans-grade. Elles matérialisent nos angoisses. Et, qui sait, les apaisent du coup peut-être un peu…

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Par Laurent Raphaël

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